La vérificatrice générale revient à la charge chaque année depuis huit ans, mais rien n’y fait : le gouvernement du Québec continue à enfreindre une règle comptable importante, qui a pour effet de sous-estimer notre dette collective.

L’impact est majeur. Si le gouvernement respectait la norme comptable, la dette du gouvernement augmenterait de 12,4 milliards. Cette somme équivaut à 13 % du déficit cumulé de 95 milliards. Ou encore à 7,2 % de la dette nette de 171 milliards.

La nouvelle est connue de certains experts, mais ignorée du grand public. Or, en cette ère de grande fragilité des finances publiques causée par la pandémie, les chiffres prennent une autre importance.

Dans son rapport sur les états financiers du gouvernement, publiés le 22 décembre 2020, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, exhorte le gouvernement à corriger le tir et à « se conformer aux normes comptables canadiennes pour le secteur public ».

CONSULTEZ la page 73 du volume des Comptes publics

De quoi s’agit-il au juste ? L’impact de 12,4 milliards se sépare en deux catégories, essentiellement.

D’une part, le gouvernement refuse de comptabiliser illico les subventions d’infrastructures qu’il s’engage à verser à certains de ses organismes ou à des municipalités. Plutôt que de comptabiliser l’argent promis dans l’année de l’engagement, le gouvernement l’inscrit par tranche annuelle sur plusieurs années.

Le Centre Vidéotron

C’est le cas, par exemple, de la subvention de 185 millions du gouvernement à la Ville de Québec pour l’amphithéâtre Vidéotron. Même si la construction est terminée depuis 2015, le gouvernement n’a toujours pas inscrit la totalité de la subvention dans ses livres. Elle le sera seulement dans 15 ans !

Dans les faits, l’organisme subventionné, ici la Ville de Québec, doit emprunter la somme équivalente sur les marchés financiers pour payer les entrepreneurs d’un projet, et elle se fait rembourser par le gouvernement la portion annuelle à être versée au prêteur privé sur 20 ans.

Cette pratique contrevient aux normes comptables, lesquelles prévoient que la comptabilisation de tels transferts doit se faire dès qu’ils ont été autorisés et que les bénéficiaires ont satisfait aux critères d’admissibilité. Il faudrait donc voir apparaître dans les livres du gouvernement une somme qui est due – une dette – ce qui n’est pas le cas.

Actifs fictifs et train de l’Est

L’autre moitié des 12,4 milliards d’impact concerne la création d’actifs qu’on peut qualifier de fictifs, en quelque sorte. Le cas du train de l’Est, qui relie Mascouche au centre de Montréal, est un bon exemple.

Dans ce cas, le gouvernement a inscrit un actif « fictif » de 565 millions dans ses livres. Pourquoi fictif ? Parce que cet actif réfère à des sommes à recevoir du Réseau de transport métropolitain (RTM), alors que dans les faits, ces sommes ne lui seront jamais reversées par le RTM.

En réalité, c’est le ministère des Transports qui rembourse une autre entité du gouvernement (Financement Québec), et non la RTM. Bref, la poche de gauche rembourse la poche de droite. Comment alors peut-on justifier l’inscription d’un actif sans, en contrepartie, avoir une dette équivalente ?

Lisez la page 15 du chapitre 10 du rapport 2019 du VG

Concrètement, en jouant avec la norme comptable, le gouvernement augmente ainsi, chaque année, son surplus de plusieurs centaines de millions de dollars. Au cours de la dernière année (2019-2020), par exemple, le surplus a été surestimé de 527 millions, estime la VG. Et pour la seule année 2017-2018, c’était 1,9 milliard, notamment en raison du train de l’Est.

Depuis huit ans, cette pratique répétée a fait gonfler la sous-estimation de la dette. Au 31 mars 2012, calcule la VG, la dette nette du Québec était sous-estimée de 7,6 milliards en raison de cette pratique. Aujourd’hui, c’est 12,4 milliards, soit près de 5 milliards de plus.

Pourquoi le gouvernement fait-il cela ? Le ministère des Finances nous a transmis ses justifications, semblables à celles produites dans les comptes publics. D’une part, écrit-il, cette pratique lui permet « de prélever les impôts nécessaires au financement de ces dépenses sur une période qui s’apparente à celle de l’utilisation des biens ».

D’autre part, soutient-il, une dépense de transfert à un tiers ne peut être autorisée tant que les crédits de chaque année n’ont pas reçu l’aval des parlementaires. Ce processus viendrait interdire une dépense pluriannuelle (et donc une dette constituée de ces dépenses pluriannuelles).

Enfin, le Ministère précise que les agences de notation de crédit sont bien au fait de cette pratique et que, conséquemment, la cote sur la dette nette du Québec n’est pas impactée.

Fort bien. Sauf qu’au bout du compte, cette pratique donne un portrait trompeur des états financiers du gouvernement. Elle rend notamment bancale la comparaison avec les autres provinces qui appliquent les normes correctement, comparaison qui est l’objectif ultime d’imposer des normes comptables communes à tous.

Qui plus est, la pratique comptable entache les états financiers de plusieurs des organismes que le gouvernement subventionne ou à qui il transfère des fonds pour des projets. La SODEC, la Place des Arts, Télé-Québec, la SEPAQ ne sont que quelques exemples des organismes où le Vérificateur émet, là aussi, une réserve aux états financiers.

En 2014, le gouvernement a contesté cette norme auprès de l’organisme qui établit les règles, soit le Conseil sur la comptabilité du secteur public (CCSP). Mais « au terme de l’analyse, le CCSP a conclu en juin 2016 que la norme est fondée sur les principes et que dans l’ensemble, elle remplit les objectifs d’intérêt public ayant initialement motivé sa publication », écrivait la VG du Québec dans son rapport d’octobre 2016.

L’avis du CCSP a d’ailleurs incité les villes qui reçoivent les subventions d’infrastructures à ne pas imiter le gouvernement. Elles inscrivent donc dans leurs actifs que le gouvernement du Québec leur doit une somme sur quelques années, alors que le gouvernement, de son côté, n’inscrit pas dans ses livres une dette pour cette somme qu’il leur doit.

Après huit ans de réprimandes, n’est-il pas temps de changer ?