« Quand la Caisse de dépôt a investi massivement dans Allied Universal, l’an dernier, je n’ai rien dit, je ne voulais pas partir de chicane. Mais là, que la Caisse de dépôt fasse une offre pour acquérir G4S, une firme bannie par les caisses de retraite européennes en raison des accusations d’esclavagisme, de fraudes, de trafic d’armes, de participation à des cartels et de torture de prisonniers qui l’éclaboussent, je trouve ça inacceptable, c’est un scandale », dénonce Stéphan Crétier, PDG et fondateur de GardaWorld.

Affichant habituellement un caractère modéré et toujours soucieux de faire consensus — il a longtemps officié comme arbitre au baseball mineur —, Stéphan Crétier arrivait mal à contenir, mardi après-midi, le flot d’invectives qu’il avait à lancer à l’endroit de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

La Caisse, qui est devenue l’an dernier un actionnaire majeur de la plus importante entreprise privée de sécurité des États-Unis, Allied Universal Security Services, se trouve opposée à GardaWorld depuis qu’Allied a confirmé avoir déposé une offre pour acquérir à son tour la société britannique G4S.

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Stéphan Crétier, PDG et fondateur de GardaWorld

« Déjà en investissant 1,5 milliard dans Allied, la Caisse est venue directement nous faire concurrence », déplore le PDG de Garda.

« Là, la Caisse et Allied viennent renchérir sur l’offre qu’on a faite pour acquérir G4S. Ils n’ont pas d’affaires là-dedans. Premièrement, Allied n’a aucune expérience à l’international, alors que G4S fait affaire dans plus de 85 pays et Garda dans plus de 50 pays. Tous les revenus d’Allied proviennent des États-Unis, mis à part une petite division en Angleterre et quelques activités au Mexique.

« Mais surtout, qu’est-ce que le fonds de pension des Québécois vient faire en investissant dans une entreprise corrompue comme G4S ? La firme croule sous les poursuites : le scandale des Jeux olympiques de Londres, des actions collectives aux États-Unis, le soutien financier aux talibans, des accusations de torture de prisonniers en Afrique du Sud…

Les fonds de pension en Europe ont banni G4S en raison de son piètre bilan en matière de gestion des enjeux éthiques, sociaux et de gouvernance, et la Caisse de dépôt, elle, décide d’y investir massivement.

Stéphan Crétier, PDG et fondateur de GardaWorld

La capacité de recycler

S’il est en effet surprenant que la Caisse de dépôt, qui apporte un soin immense à son image et se fait l’apôtre de l’investissement responsable, s’intéresse à une entreprise comme G4S, qui a vraiment une très, très mauvaise réputation, pourquoi Stéphan Crétier s’entête-t-il, lui, à vouloir faire l’acquisition de cette entreprise pestiférée ?

« J’ai toujours acheté des poubelles, des entreprises qui étaient toutes croches et qu’on a remontées. On a commencé dans le transport des valeurs avec une poubelle et on est devenu le plus gros joueur aux États-Unis.

« On est comme Couche-Tard il y a 12 ans lorsqu’elle voulait consolider sa position de leader, mais on a la Caisse de dépôt qui vient nous rentrer dedans. Nous, on souhaite prendre de l’expansion et on peut redresser G4S parce qu’on est des opérateurs, des propriétaires. Moi, j’ai plus de 1 milliard en jeu et mon management aussi est engagé. Tout le monde veut que ça marche, on n’est pas des investisseurs financiers.

La Caisse de dépôt, ce n’est pas Blackstone, ce n’est pas une firme d’investissement privée, c’est le fonds de pension des Québécois. Ils n’ont rien à faire avec G4S.

Stéphan Crétier

La Caisse a pourtant offert à GardaWorld de participer à hauteur de 1 milliard au financement de l’acquisition de G4S. Pourquoi ne pas avoir accepté cette main tendue ?

« Ils nous ont offert de la dette et la Caisse n’a jamais essayé ou offert de devenir actionnaire chez nous. Avoir 1 milliard en dette est très différent d’être le plus important actionnaire d’Allied », répond Stéphan Crétier, qui précise qu’il a obtenu de meilleures conditions d’emprunt auprès d’un syndicat bancaire.

Le PDG et fondateur de Garda affirme par ailleurs que la Caisse a toujours regardé de haut son entreprise, qui emploie pourtant aujourd’hui plus de 12 000 personnes au Québec en plus des 1200 employés de son centre opérationnel de Griffintown.

« À l’époque où je cherchais des partenaires financiers, Garda n’avait jamais une assez bonne réputation pour la Caisse. Je me souviens d’avoir participé à une entrevue qui a duré plus de deux heures et où on me reprochait d’avoir accepté un contrat au club de golf Le Mirage pour un mariage. C’était celui du caïd Raynald Desjardins, mais on ne connaissait pas l’identité du client, c’est le club qui nous avait embauchés.

« Mais là, la Caisse est prête à investir dans une entreprise dont la direction a été poursuivie par ses propres actionnaires parce qu’elle avait falsifié ses prévisions financières. C’est incroyable.

« Contrairement à Allied, nous, on a fait affaire en Irak et en Afghanistan, ce qu’on nous a reproché dans le passé. Pourtant, G4S est en Syrie alors que nous, on n’aurait jamais été là », ajoute Stéphan Crétier.

Et quelle devrait être la suite des choses, selon lui ?

« Je pose seulement la question : qu’est-ce que la Caisse fait là ? On est bien loin de l’investissement responsable et du respect des enjeux éthiques, sociaux et de gouvernance », tranche-t-il.