À compter d’aujourd’hui, les citoyens d’Asbestos sont appelés à voter pour le nouveau nom de leur ville. Des gens d’affaires de la localité estrienne ont confié à La Presse à quel point être associés à l’amiante peut causer des désagréments à une entreprise.

La mine Jeffrey est fermée depuis 2012. Un lac est visible au fond de l’immense trou laissé par 130 ans d’excavation, le paysage de la localité prend des couleurs et l’amiantose ne fait plus la manchette, ou si peu, au Québec.

Mais le fait d’être associés à l’amiante, qui a mauvaise presse, cause parfois des maux de tête ou demande plus de travail pour des gens d’affaires d’Asbestos. « Dans les papiers de douanes d’un de nos gros clients, il a fallu inscrire que le produit qu’on avait conçu pour lui était exempt d’amiante, explique Max Carignan, président de Broderie Magister, située rue de l’Amiante, à Asbestos. Ça n’arriverait pas à un fournisseur de Drummondville. »

Le propriétaire de Magister juge que l’entreprise, dont les clients sont principalement au Québec, n’a pas trop souffert de travailler à Asbestos. Il souhaite néanmoins le changement du nom de sa ville natale. « À cause de sa connotation négative, dit Max Carignan, qui en a proposé un nouveau. Il faut passer à autre chose, même si on est attachés à notre ville. »

Le nom qu’il a soumis (Phénix) se retrouve parmi les six retenus (Jeffrey-sur-le-Lac, Trois-Lacs, Larochelle, L’Azur-des-Cantons et Val-des-Sources sont les cinq autres) et pour lesquels les Asbestriens sont appelés à voter à compter de ce mercredi, et ce, jusqu’à dimanche.

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Nancy Boisvert et Max Carignan, copropriétaires de de Broderie Magister

Un tel changement tarde à venir pour bien des gens, alors que d’autres souhaitent le statu quo. « Si la ville s’était appelée Amiante, on aurait changé le nom déjà, juge Nancy Boisvert, copropriétaire de Magister. On n’aimerait pas ça. »

« J’ai été élevé ici, poursuit Ghislain Tessier, président de Transports ATD. Le changement de nom, c’est la plus belle chose qui puisse arriver. Pour arrêter de traîner de vieilles histoires. Je ne veux pas qu’on oublie l’histoire de la ville, mais garder le nom, c’est négatif pour ma part. Ce n’est pas un nom agréable à dire. »

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Ghislain Tessier, président de Transports ATD

Par crainte qu’un camionneur ne se fasse arrêter inutilement en franchissant les douanes américaines, Ghislain Tessier s’est assuré que le mot Asbestos (amiante, en anglais) n’apparaisse sur aucun de ses 34 véhicules. « Un transporteur a déjà eu des problèmes, raconte-t-il. On a confondu le nom de la ville avec le transport de matières dangereuses. »

L’entreprise, fondée en 1985 dans la ville voisine de Danville, gère ses activités d’Asbestos, dans un espace plus grand, depuis 2013. « La fermeture de la mine m’a permis d’avoir un garage, dit Ghislain Tessier. L’histoire de la ville est belle, si on enlève le côté maladie. La mine a fait rouler l’économie. »

Des dirigeants doivent justement souvent raconter cette histoire et l’origine du nom, quand ils échangent poignées de mains et cartes professionnelles. « Le fait d’acheter une remorque d’ici ne rebutera pas le chef d’entreprise à qui je m’adresse, raconte François Gouin, président d’ABS Remorques. Mais les autres personnes de son entreprise avec qui je ne fais pas affaire directement vont se poser des questions. Par ailleurs, plus on traite avec une clientèle de consommateurs, plus ça devient sensible. »

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François Gouin, président d’ABS Remorques

ABS Remorques se porte bien. « Mais à quelques occasions, j’ai dû expliquer ce qu’est l’amiante, dit M. Gouin. J’ai dû prendre du temps pour expliquer autre chose que mon produit au Canada. Il faut vaincre des croyances et des perceptions, et personne n’a du temps à perdre avec ça. »

« On s’inquiète parfois pour des choses qui n’existent pas, constate Nancy Boisvert. On n’a jamais fait de vêtements avec de l’amiante. »

Mais plus on s’approche des États-Unis et de la France, plus les questions et les réactions fusent. « Ma conjointe et moi étions en Italie, il y a quelques années, raconte François Gouin. Nous étions jumelés à un groupe de Français. Quand on leur a dit d’où on venait, ils se sont mis à marcher 20 pieds derrière nous. »

Peur d’une carte d’affaires

Martin Lafleur, directeur de la Corporation de développement socioéconomique d’Asbestos, a vécu une situation similaire lors d’un congrès en Iowa, l’an dernier. « Un Américain n’a pas voulu prendre ma carte d’affaires, car il pensait qu’il y avait de l’amiante dedans ! affirme-t-il. Pour des Français et des Américains, l’amiante, c’est le cancer et l’enfer. »

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Martin Lafleur, directeur de la Corporation de développement socioéconomique d’Asbestos

M. Lafleur se rappelle que des produits d’une entreprise pharmaceutique (Laboratoires KABS) ont déjà été bloqués aux douanes. « Le dirigeant d’une entreprise de balais mécaniques m’a aussi dit qu’il ne pouvait inscrire Asbestos sur ses boîtes, car si les Américains pensent que l’amiante est dans la fabrication, ils n’en voudront pas, cite-t-il comme autre exemple. Ce nom peut être lourd à porter. »

Cette crainte de respirer de l’amiante et de manipuler des objets qui en contiennent aurait, par ailleurs, fait perdre des occasions d’affaires à la ville même, estime Martin Lafleur. « Une entreprise québécoise qu’on voulait attirer à Asbestos a fait écrire sur une fiche clairement : ne devra pas constituer un heurt à l’exportation », affirme-t-il.

Le directeur dit avoir convaincu certaines entreprises de s’établir à Asbestos… en ayant leur boîte postale à Danville ! « Ce changement de nom, ce n’est pas un jeu, dit Martin Lafleur. On le fait, car c’est un boulet. On veut un nom qui ne cause pas de problème. Le propriétaire d’un dépanneur n’a peut-être pas d’irritant, mais dès qu’on exporte, ça devient un irritant. »

Le dévoilement du nouveau nom de la ville de 7500 habitants aura lieu le 19 octobre.