Lancé au tout début de la pandémie par le gouvernement Legault pour stimuler l’achat local, le Panier bleu, une plateforme numérique qui répertorie les marchands québécois, se prépare déjà à une éventuelle fermeture des commerces si la deuxième vague frappe trop fort.

« On travaille comme si c’était une possibilité, affirmait le directeur général du Panier bleu, Alain Dumas, au cours d’un entretien avec La Presse. Je pense qu’il y a des marchands qui se sont outillés pendant la crise. Mais il y en a qui ne le sont pas. Il va falloir qu’ils agissent. » Selon un sondage mené en août pour le compte du Panier bleu, « un répondant sur trois disait ne pas être en mesure d’offrir des services en ligne dans le contexte adapté au confinement qu’on a vécu », révélait en entrevue Nathalie Larue, première vice-présidente Stratégie, Marketing Mouvement et Services aux particuliers chez Desjardins, qui dirige également l’un des huit grands chantiers mis en place en juin « pour accélérer la transformation numérique » des détaillants. Actuellement à mi-mandat, ces chantiers devraient rendre leur rapport en novembre.

En ligne depuis le 5 avril, le Panier bleu a pour mission de guider les marchands, tient à rappeler M. Dumas. Si le gouvernement Legault décide pour la seconde fois de fermer les magasins, l’organisme à but non lucratif (OBNL) peut par exemple les informer des autres solutions de transport pour la livraison de leur marchandise en dehors de Postes Canada et d’UPS, alors que « tout le réseau de logistique de livraison pourrait être sous pression », et sur les bons outils à dénicher pour créer son propre site transactionnel.
« On se prépare à l’éventualité [d’une fermeture], ajoute M. Dumas. On s’est créé un comité de ressources logistiques. »

En retard

Or, dans l’éventualité d’une fermeture temporaire, de nombreux commerces auraient du pain sur la planche s’ils souhaitaient ouvrir un magasin virtuel. « [Les détaillants] ont pris un énorme retard », lance sans détour M. Dumas, qui a déjà agi à titre de vice-président du marketing et de la stratégie numérique de l’Aubainerie et de responsable de la mise en place de l’épicerie en ligne chez IGA, il y a plus de 20 ans.

« Ils prennent du retard parce qu’ils n’ont pas accès à l’information, soutient-il. Il y a des commerçants qui ont commencé à faire du commerce en ligne pendant la pandémie. Leur commerce était alors fermé. Ils ont donc pu mettre leurs ressources à faire du commerce électronique. Quand ils ont rouvert leurs magasins, ils se sont rendu compte qu’ils se retrouvaient avec deux entreprises. Ils n’ont pas nécessairement les ressources internes, ils n’ont pas nécessairement les compétences internes. »

« Il y a une commerçante qui nous a dit : “Moi, je me suis rendu compte que faire du commerce en ligne, ça nuit à mon relationnel avec mes clients qui viennent en boutique” », raconte-t-il.

Malgré tout, ce virage électronique est essentiel, selon Nathalie Larue, qui préside le chantier Gestion de l’expérience consommateur et de la relation client. « Ça sera nécessaire, insiste-t-elle. Il faudra qu’on trouve des moyens rapides de leur donner des solutions pour faire des premiers pas rapides. »

Et la pandémie semble avoir fait réaliser à plusieurs marchands l’importance d’être actifs sur le web. « Si tu veux survivre, il faut que tu fasses du commerce en ligne », affirme sans détour Chantal Michel, propriétaire de deux librairies Raffin à Montréal, et d’une troisième à Repentigny.

Mme Michel, dont les ventes en ligne sont actuellement quatre fois plus élevées qu’à pareille date l’an dernier, se dit prête à affronter une éventuelle fermeture. « Je me suis préparée. On va beaucoup promouvoir le site web et j’aurai des équipes en place dans les trois librairies pour gérer les commandes en ligne. » Ses clients qui achètent des livres sur le web passent par le site transactionnel leslibraires.ca, qui permet à plusieurs librairies indépendantes de faire du commerce en ligne sans devoir mettre sur pied leur propre plateforme.

« Il y a des entreprises québécoises dont la marge de manœuvre est assez limitée, pour investir et se préparer à être ultimement en mesure de faire du commerce à la fois en point de service physique et au niveau numérique, tient à souligner Nathalie Larue, à la lumière des discussions qu’elle a eues dans le cadre de son chantier. Ce qui n’est pas à la portée de tous, malgré le fait que ces commerçants-là voient bien que leur futur repose sur leur capacité éventuelle à s’adapter. »

Les frais liés au transport et à la livraison pèsent également lourd dans la balance, ajoute Catryn Pinard, présidente et chef de la direction chez Nationex, qui dirige le chantier sur ce sujet.

Les coûts de transport sont un frein à l’essor du commerce en ligne pour plusieurs détaillants.

Catryn Pinard, présidente et chef de la direction chez Nationex

Et pour l’instant, le Panier bleu n’est pas un site transactionnel. M. Dumas n’écarte toutefois pas la possibilité qu’il le soit un jour. Mais il reste encore plusieurs étapes à franchir. « Ce qu’on regarde, c’est la possibilité de lire les catalogues de produits que les commerçants ont en ligne. »

Les consommateurs pourraient donc voir directement sur la plateforme les vêtements, livres ou autres articles de sports que les marchands offrent pour ensuite aller les acheter sur le site du commerce en question. « Selon l’engouement, probablement qu’il faudra se poser la question de savoir si on doit devenir transactionnel », précise Alain Dumas

Qu’est-ce qu’un produit bleu ?

En plus de vouloir développer davantage l’achat en ligne, l’organisme, à travers ses chantiers, se penche sur les définitions de produit et de commerce québécois. Pour le moment, aucune n’a été établie. « Un détaillant québécois, c’est quoi ? demande Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ). Est-ce une entreprise dont le siège social est ici, ou est-ce que c’est une entreprise étrangère qui a différents points de vente ici et qui emploie beaucoup de travailleurs ? Ce sont de grandes questions existentielles qui vont permettre ultimement de favoriser l’achat local », ajoute celle qui préside le chantier Origine québécoise des produits et des commerces.

Elle explique que dans le secteur manufacturier, il est très rare de trouver des produits 100 % bleus. « Dans les vêtements, par exemple, les produits sont conçus, designés ici par des équipes au Québec, mais souvent, ils vont être fabriqués à l’extérieur. Certains fabricants vont faire de la fabrication aussi, mais la matière première vient quand même de l’extérieur. Donc, ce n’est pas simple. »

Une vadrouille que vous achetez chez Rona, c’est pas mal compliqué de savoir d’où viennent les éléments qui la composent.

Alain Dumas, directeur général du Panier bleu

Par ailleurs, plus de six mois après sa création, le Panier bleu remplit sa mission de « soutenir le mouvement pour l’achat », juge son directeur général, et ce, même si l’achalandage a beaucoup diminué. « Les gens sont allés voir le répertoire au début. C’est certain qu’une fois que vous vous rendez compte des commerces autour de vous et que vous vous mettez à les encourager, le réflexe n’est pas nécessairement de retourner voir [sur le site] si votre commerce est encore là. » Aux critiques qui l’ont qualifié de simple répertoire, de Pages jaunes ou encore de Google québécois, il répond que la plateforme, loin d’être parfaite, a été créée en deux semaines. Rappelons que Québec a injecté au départ 975 000 $ pour la création de la vitrine et a par la suite ajouté 3,15 millions pour améliorer la plateforme.

« Il y a peut-être quelque chose qu’il va falloir recentrer au niveau communicationnel, admet M. Dumas. Le Panier bleu, pour nous, c’est pas mal plus large [qu’un simple répertoire]. C’est une espèce d’outils de fédération des forces vives du commerce de détail. Peut-être qu’on n’a pas assez tapé sur ce clou-là. »

Le Panier bleu en bref

Création : avril 2020
Nombre de commerces inscrits
Mai : 16 267
Septembre : 21 053
Achalandage sur le site
Premiers jours après le lancement : 2 millions de visites uniques
Mai : 140 000 visiteurs uniques
Septembre : 75 000 uniques (estimation)

Source : Le Panier bleu