Est-ce le rôle de l’État de produire du ciment ?

La réponse est clairement non. L’État doit s’assurer d’avoir un bon système d’éducation, des routes bien entretenues, un système judiciaire en bon ordre et un réseau de la santé de qualité. Il doit aussi avoir un système social et fiscal qui permette à une société de fonctionner en harmonie et de prospérer.

Cette question du rôle de l’État nous aide à mieux évaluer la présence financière du gouvernement du Québec dans le projet de cimenterie McInnis, en Gaspésie. Et de juger de la vente des installations de Port-Daniel–Gascons, qui pourrait faire perdre entre 500 et 700 millions au gouvernement et à la Caisse de dépôt, selon ce qu’affirme l’animateur Bernard Drainville.

Non, ce n’est pas le rôle du gouvernement de produire du ciment et de concurrencer le privé en cette matière. Pas question, donc, de conserver sa participation dans McInnis et de risquer encore plus de pertes pour les Québécois.

À l’époque, l’engagement de l’État pouvait trouver certaines justifications. D’abord, au début des années 2010, la région gaspésienne était moribonde et l’économie tournait au ralenti. Le chômage sévissait.

Comme l’État doit minimalement favoriser l’occupation du territoire — ou en tout cas ne pas laisser, si possible, le territoire occupé se vider —, une participation dans un mégaprojet en Gaspésie pouvait se concevoir. Et je fais abstraction, dans ce contexte d’analyse, des grosses quantités de GES émises par la cimenterie.

Dans d’autres cas, l’État peut choisir d’appuyer financièrement un projet s’il est jugé hautement stratégique pour l’économie. Est-ce le cas du ciment, vraiment ?

La cimenterie s’apprêterait à être vendue à l’entreprise brésilienne Votorantim Cimentos, selon Le Journal de Montréal. Elle a eu un accouchement long et difficile, faut-il le rappeler.

La première ébauche remonte au début des années 1990, il y a un quart de siècle, lorsque le promoteur de l’époque, Guy Rousseau, a sollicité l’aide du gouvernement pour son projet de cimenterie de 307 millions, alors baptisé Cimbec. S’est en suivi une longue suite de palabres pour que ce dossier, éminemment politique, finisse par être lancé, d’abord par les péquistes en janvier 2014, puis par les libéraux, quelques mois plus tard.

Au moment du lancement, le projet devait coûter 1 milliard de dollars. On sait qu’il a finalement coûté environ 1,6 milliard, et qu’il a été parsemé d’erreurs de gestion et de dépassements de coûts importants.

Selon mes renseignements, le gouvernement du Québec a injecté environ 200 millions de dollars de capital dans ce projet, en plus de prêts de quelque 250 millions, pour un engagement financier avoisinant les 450 millions. De son côté, la Caisse de dépôt y aurait englouti 450 millions, si bien que les deux ensemble ont injecté 900 millions dans l’aventure.

La Caisse de dépôt a une participation de 27,5 % et celle du gouvernement du Québec, selon mes estimations, avoisinerait les 20 %.

Contrairement au gouvernement, c’est le rôle de la Caisse de participer à des projets pour développer l’économie du Québec, pourvu qu’ils contribuent minimalement au rendement de ses déposants.

Visiblement, après bien des efforts et des réinjections de fonds, la direction de la Caisse s’est rendu compte que le deuxième objectif ne serait pas atteint.

Au moment de l’annonce des résultats de la Caisse en février 2018, son président d’alors, Michael Sabia, ne s’était pas caché qu’il était bien ouvert à la vente de la cimenterie. « Si vous êtes intéressé ou si vous trouvez un acheteur, faites-moi signe », m’avait dit à la blague l’ex-PDG de la Caisse.

Malgré tout, la Caisse a tenu bon jusqu’à ce jour, favorisant des changements à la direction de l’entreprise. Mais si un acheteur sérieux se présente, nul doute qu’il passera le flambeau, n’étant pas un exploitant de ciment.

Ironiquement, François Legault a maintes fois qualifié le projet de « grave erreur » tant dans l’opposition qu’au pouvoir, comme lundi, alors que c’est son ami ministre Christian Dubé qui s’occupait de ce bébé lors de son passage à la Caisse de dépôt comme premier vice-président, Québec, entre août 2014 et septembre 2018.

Le dossier de la cimenterie McInnis nous rappellera à quel point l’État doit y penser à deux fois avant d’engloutir des fonds publics dans un projet privé.