Ottawa investit pour « contrebalancer » les importations du Mexique et de la Californie

Des radis biologiques cultivés au Québec seront bientôt en vente à longueur d’année dans les supermarchés. Surfant sur la vague de l’achat local et de l’autonomie alimentaire, une entreprise de la Montérégie a mis au point une méthode pour cultiver ce légume-racine en serre à grande échelle toute l’année, la première opération du genre au Canada.

Déjà reconnue comme l’un des plus importants producteurs de radis en Amérique du Nord, l’entreprise les Jardins A. Guérin et Fils travaille sur ce projet depuis maintenant trois ans.

En tournée au Québec, jeudi, la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, s’est rendue sur la ferme pour annoncer un investissement de 625 400 $ dans ce projet, sous la forme d’un prêt sans intérêt pour 10 ans.

Cette aide vise à contrebalancer les importations de radis du Mexique et du sud de la Californie, évaluées à environ 18,6 millions de dollars annuellement.

« On a vu pendant la crise de la COVID-19 où étaient les faiblesses de notre réseau d’approvisionnement alimentaire et il y a de la place pour plus d’autonomie », a expliqué la ministre, en entrevue avec La Presse.

[L’agroalimentaire], c’est un secteur de notre économie qui est très important et on a le privilège de pouvoir nourrir les Canadiens, mais aussi les gens à travers le monde. Nous allons quand même rester un pays commerçant, mais on a certainement des opportunités de renforcer notre système alimentaire.

Marie-Claude Bibeau

À terme, la production en serre de radis rouges des Jardins A. Guérin et Fils devrait générer des recettes de 1,3 million grâce à la production de 460 000 palettes par année.

« En tant qu’entreprise, c’est sûr qu’on essaye toujours de se dire : c’est quoi, ma prochaine étape ? », a expliqué Pascal Guérin, coactionnaire de l’entreprise familiale fondée en 1983, mieux connue sous l’appellation JAG. « On a réussi à trouver quelque chose qui nous donne l’occasion de rester en avant de la parade. »

« C’est comme un gâteau de terre »

Le concept de production de radis en serre a d’abord été suggéré par son cousin, Gabriel Collin, agronome et ingénieur agroenvironnemental. Ce dernier lance l’idée en plein party de Noël il y a quatre ans. Le printemps suivant, il est embauché par Jardins A. Guérin et Fils, qui lui donne carte blanche.

« On veut que le radis, ça devienne la nouvelle tomate ! », lance Gabriel Collin en riant. « On veut fournir aux gens […] un autre produit que la tomate, le concombre, le poivron ou la laitue », ajoute-t-il.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

L’agriculteur Pascal Guérin et l’agronome Gabriel Collin

Il faut dire que le projet germait dans son esprit depuis longtemps. Lors de ses études à la maîtrise à l’université, il tentait déjà de faire pousser des radis dans son appartement.

Après avoir testé avec peu de succès la méthode hydroponique – qui est généralement employée en serre –, il se tourne vers une nouvelle technique utilisée pour les semis de laitue : la motte cubique.

Pascal Guérin compare l’allure de ce substrat de terre compressée à un brownie de trois centimètres de haut qui repose dans un grand cabaret. « C’est comme un gâteau de terre », dit-il.

On a fait le test par curiosité, et ça fonctionnait très bien, donc j’ai poussé un peu plus loin pour développer une méthode de fertilisation biologique.

Gabriel Collin

Les premières plantations sont faites dans une serre de 1200 mètres carrés où tous les paramètres sont rigoureusement contrôlés : température, taux d’humidité, éclairage. La variété de radis cultivée est jalousement gardée secrète par le tandem.

La serre est maintenue à une température d’environ 13 °C l’hiver, ce qui la rend beaucoup moins énergivore qu’une production de tomates, par exemple, où les serres doivent être chauffées à près de 25 °C.

Les rendements sont au rendez-vous et les carnets de commandes, pleins.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La serre est maintenue à une température d’environ 13 °C l’hiver, ce qui la rend beaucoup moins énergivore qu’une production de tomates, par exemple, où les serres doivent être chauffées à près de 25 °C.

JAG produit près de la moitié de la production québécoise de radis

L’entreprise JAG sème environ 700 hectares de radis en champ par année, ce qui fait déjà d’elle l’un des plus grands producteurs de ce légume-racine au Canada et même en Amérique du Nord. « On doit être dans le top 10 », évalue Pascal Guérin.

Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, l’entreprise produit 29 % de la production canadienne et 47 % de la production québécoise de radis.

Même si l’entreprise a les reins solides, le prêt d’Ottawa l’aide à minimiser le risque pour innover. « Ça nous permet de ne pas trop limiter notre capacité financière pour le reste de l’entreprise », explique M. Guérin.

La production maraîchère en serre a le vent dans les voiles au Québec. Le gouvernement Legault souhaite doubler la superficie des serres dans la province au cours des prochaines années, promesse électorale que le premier ministre a réitérée à de nombreuses reprises depuis le début de la pandémie de COVID-19. Québec compte y parvenir en offrant un tarif préférentiel d’hydroélectricité pour l’éclairage de photosynthèse.

Une quinzaine de très grandes serres y ont déjà droit, mais le nouveau programme devrait bientôt être élargi à de plus petits projets serricoles comme JAG.

« En ayant des subventions comme celle du fédéral et en ayant le prix de l’électricité qui va baisser, ça vient enlever de la pression sur les premières années du projet », s’est réjoui M. Guérin.

Mettre fin au gaspillage alimentaire en période de COVID-19

La ministre de l’Agriculture du Canada, Marie-Claude Bibeau, était de passage à Saint-Hyacinthe, jeudi matin, afin de présenter les détails du programme de récupération d’aliments excédentaires. Ce plan de 50 millions a été annoncé durant la pandémie pour contrer le gaspillage alimentaire causé par les interruptions dans la chaîne alimentaire dues à la fermeture des restaurants, des hôtels et des institutions. « Pendant la pandémie, il y a un Canadien sur sept qui a déclaré avoir été en situation d’insécurité alimentaire pendant au moins un mois », a déploré Mme Bibeau. « L’objectif, c’est de venir en aide aux producteurs qui avaient des surplus sur les bras de façon importante et de pouvoir utiliser ces surplus-là pour nourrir les populations les plus vulnérables. » L’annonce a été faite au siège social du Groupe Nutri, qui fournira plus de 1 million de douzaines d’œufs au prix coûtant aux organismes Banques alimentaires Canada et Second Harvest, qui font notamment affaire avec le réseau Moisson Québec. L’organisme québécois La Tablée des chefs recevra pour sa part plus de 1,5 million en denrées excédentaires.