La pression économique ne justifie pas une intervention intempestive du gouvernement fédéral, selon trois spécialistes des relations de travail. Mais le recours à l’arbitrage reste possible.

La grève des débardeurs du port de Montréal crée des préjudices économiques ? C’est précisément là que réside son objectif – un objectif légitime, estime Alain Barré, professeur agrégé au département des relations industrielles de l’Université Laval.

Le préjudice économique à l’occasion d’un conflit de travail, « c’est quelque chose qu’on a accepté en 1944 au Québec, lors de l’adoption de la Loi des relations ouvrières », indique le spécialiste.

« Ça fait partie du mode de résolution des conflits. Il ne faut pas se surprendre qu’il y ait des coûts économiques, et il ne faut surtout pas conclure immédiatement au recours à la loi spéciale. Il faut d’abord que cette pression économique exerce son plein effet. »

Depuis 13 ans, deux décisions importantes de la Cour suprême ont précisé les droits en contexte de négociation de conditions de travail.

L’arrêt Health Services and Support, en 2007, a statué que la liberté de négociation collective représentait un droit fondamental au Canada.

Huit ans plus tard, en 2015, l’arrêt Saskatchewan a accordé une protection constitutionnelle au droit de grève.

« Ce n’est pas parce qu’on est confronté à un moment donné à certaines formes de préjudices économiques qui peuvent avoir des conséquences relativement graves que la protection constitutionnelle cesse. »

Si, dès les premiers cris, le gouvernement adoptait une loi spéciale, elle aurait forcément des chances d’être invalidée.

Alain Barré, professeur à l’Université Laval

Services essentiels ?

Selon l’arrêt Saskatchewan, l’employeur peut toutefois demander le maintien de services essentiels. C’est la carte qu’a tenté de jouer l’Association des employeurs maritimes, en plaidant sans succès devant le Conseil canadien des relations industrielles que l’ensemble des activités portuaires constituaient des services essentiels.

Dans sa décision de juin dernier, le Conseil a restreint ces services à quelques activités, notamment l’approvisionnement de Terre-Neuve.

« Il faut respecter la décision du Conseil, qui est une position équilibrée et très motivée », soutient Alain Barré.

Jouer à se faire mal

De son côté, Gilles Dulude, médiateur d’expérience qui enseigne la négociation à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, doute que la pression économique s’exerce véritablement sur les parties syndicale et patronale.

« C’est là le problème fondamental là-dedans, constate-t-il. Ni l’employé ni l’employeur ne souffrent. Donc, on joue à se faire mal. »

Les coûts économiques sont transférés aux consommateurs et aux entreprises.

Les deux parties sont braquées. Il est clair qu’actuellement, tout ce qu’on recherche, c’est le rapport de force. Je suis convaincu que de la vraie négociation, il n’y en a pas.

Gilles Dulude, médiateur

Il croit que les deux parties font preuve de mauvaise foi dans un conflit d’horaire de travail pour lequel le médiateur actuel a probablement proposé des solutions.

« Ce n’est pas normal qu’un problème d’organisation du travail aussi simple que ça soit en discussion depuis deux ans. »

Comment s’en sortir ?

Même si le conflit crée une pression économique importante sur la région, le gouvernement fédéral « ne peut plus imposer des conventions collectives comme il le faisait avant l’arrêt Saskatchewan de 2015 », souligne pour sa part Jean-Claude Bernatchez, professeur titulaire en relations industrielles à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« Toutefois, ce qu’il peut faire, c’est obliger le retour au travail et confier le règlement à un arbitre, en lui disant : tu règles d’ici d’une semaine. Le fait d’obliger un tiers impartial à se prononcer répond aux exigences de l’arrêt Saskatchewan. »

C’est également l’issue qu’entrevoit Gilles Dulude. Le gouvernement fédéral « devrait nommer un médiateur spécial de l’extérieur, quelqu’un qui a de l’expérience. Une nouvelle personne au dossier va peut-être être capable de les brasser ».

Les deux parties doivent mettre les gants de boxe de côté, dit-il, et s’en remettre à l’arbitre. « Les solutions sont devant eux, ils les ont toutes déjà explorées avec le médiateur, j’en suis convaincu. »