Les résultats financiers rendus publics par Boeing mercredi n’ont rien pour encourager l’industrie aéronautique québécoise, qui compte plusieurs entreprises qui agissent à titre de fournisseurs du géant américain. Si on observe qu’un vent de relance souffle dans plusieurs secteurs économiques partout au Québec, celui de l’aéronautique est visiblement coincé dans une torpeur qui va se prolonger quelques années encore.

Comme il fallait s’y attendre, Boeing a dévoilé mercredi des résultats financiers pour son dernier trimestre qui témoignent de l’ampleur de la crise qui frappe le secteur de l’aéronautique commerciale à l’échelle mondiale.

Les revenus de l’avionneur ont chuté de 25 %, à 11,8 milliards US, alors que les ventes d’avions commerciaux ont reculé de 65 % au cours de son deuxième trimestre. Boeing a inscrit une perte de 2,4 milliards US, soit près du double à celle attendue par les analystes financiers.

Ces résultats viennent prolonger l’enlisement de l’entreprise qui s’est amorcé depuis qu’elle a été forcée de clouer au sol, en mars 2019, ses appareils 737 MAX dans la foulée de deux accidents qui ont fait près de 350 victimes.

Le géant américain a profité de l’occasion pour confirmer qu’il allait cesser la production d’ici deux ans de son emblématique Boeing 747, appareil avec lequel — comme beaucoup de voyageurs québécois — j’ai réalisé mon premier voyage en Europe.

Mais l’entreprise de Seattle a surtout annoncé mercredi qu’elle allait réduire encore une fois la cadence de production de tous ses types d’avions commerciaux.

Après avoir ramené au début de la pandémie de 14 à 10 le nombre de 787 assemblés chaque mois, Boeing va réduire à 6 le nombre de Dreamliner construits mensuellement en 2021. La cadence de production des nouveaux Boeing 777 et 777X va être réduite de trois à deux par mois alors qu’on assemblait cinq appareils mensuellement en mars dernier. L’entrée en service du 777X a été reportée d’un an.

Enfin, Boeing, qui a récemment redémarré la fabrication du 737 MAX, a reporté à 2022 son objectif d’en assembler 31 exemplaires par mois. Cette nouvelle réduction de cadence de production confirme que Boeing ne s’attend pas à une reprise significative du marché de l’aviation commerciale avant trois ou même quatre ans.

Remarquez que Boeing a de sérieuses raisons de s’inquiéter de la santé de l’industrie du transport aérien. Les cinq plus grands transporteurs aériens au monde ont, à eux seuls, enregistré une perte de valorisation boursière de 40 milliards US depuis le début de l’année, en raison de la crise sanitaire.

Mardi, on apprenait que l’aéroport Montréal-Trudeau avait enregistré une baisse de fréquentation de passagers de 97 % au cours du deuxième trimestre. En juillet, certains transporteurs ont timidement recommencé leurs activités, mais l’Association internationale du transport aérien estime que le retour à la situation prépandémie ne se fera pas avant 2024.

L’urgence d’agir

Les déboires de Boeing et ceux comparables d’Airbus, qui a annoncé au début du mois la suppression de plus de 10 % de ses effectifs à l’échelle mondiale, se répercutent évidemment sur l’ensemble de l’industrie aéronautique québécoise.

De tous les secteurs industriels, c’est celui qui est le plus touché par la crise. Déjà, l’industrie aéronautique cumule 3250 pertes d’emplois depuis le début de la pandémie, et Aéro Montréal, qui représente la grappe de l’aéronautique québécoise, anticipe de nouvelles mises à pied à l’automne lorsque plusieurs commandes auront été terminées.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Martin Brassard, PDG de Héroux-Devtek

Oui, notre industrie est durement frappée par la crise et c’est le temps de mettre sur pied une stratégie pour qu’on ne perde pas tous nos acquis. L’industrie aéronautique est la quatrième plus grande source d’exportation au Canada et celle qui exporte le plus de produits à valeur ajoutée.

Gilles Labbé, président exécutif du conseil d’Héroux-Devtek

Héroux-Devtek est directement touchée par la baisse de régime chez Boeing. L’entreprise québécoise fabrique les immenses trains d’atterrissage des Boeing 777 et 777X en plus de nombreuses composantes d’autres appareils de Boeing.

« On a dû s’ajuster et fermer l’usine d’Alta Précision de Montréal parce qu’on n'avait plus les volumes nécessaires pour la faire fonctionner. On va devoir maintenant s’ajuster à la nouvelle baisse de cadence. On fabrique plusieurs composantes du train d’atterrissage du 777 dans notre réseau d’usines », constate le PDG Martin Brassard, lors d’une téléconférence.

Héroux-Devtek peut toutefois compenser les pertes de contrats dans l’aviation commerciale avec ses contrats dans le secteur militaire, qui représentent 60 % de son carnet de commandes, ce qui n’est pas le cas de nombreuses PME québécoises.

« La France a mis sur pied un programme de plus de 15 milliards d’euros [24 milliards de dollars] pour soutenir son industrie aéronautique. Au Canada, on attend toujours que le gouvernement adopte une stratégie de l’aéronautique comme il l’a fait pour l’automobile en 2008-2009 », presse Gilles Labbé.

Les entreprises du secteur doivent investir pour développer la fabrication avancée avec les systèmes 3D et l’automatisation, et le gouvernement pourrait faciliter leur consolidation afin qu’elles soient en bonne position lorsque la reprise surviendra.

Il faut surtout éviter que les misères conjoncturelles de l’industrie aéronautique ne deviennent les prémisses de sa dislocation définitive.