Le Québec tout entier est engagé vers la reprise économique et chacune de ses régions, chacun de ses secteurs industriels la vivent de différentes façons. Notre chroniqueur est parti sur la route pour témoigner de la vitalité de nos régions et des difficultés avec lesquelles elles doivent composer.

(Saint-Félicien) L’industrie forestière génère 70 % de l’activité économique de toute la grande région du Lac-Saint-Jean, mise à part la municipalité d’Alma qui profite aussi des retombées de l’industrie de l’aluminium. La crise du coronavirus qui a provoqué une chute brutale des mises en chantier aux États-Unis aurait pu être dramatique pour les entreprises de la région, mais la hausse fulgurante des travaux de rénovation à l’échelle continentale leur a permis de traverser la crise sans trop de heurts.

Denis Lebel, ex-ministre conservateur, ex-maire de Roberval et actuel président sortant du Conseil de l’industrie forestière du Québec, me reçoit à son chalet de Mashteuiatsh, en bordure du majestueux lac Saint-Jean et d’une plage magnifique, pour discuter de l’état de l’industrie forestière, qu’on aurait imaginée mise à mal par la fermeture temporaire de l’économie nord-américaine et des activités de construction résidentielle.

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Denis Lebel, ex-ministre conservateur, ex-maire de Roberval et actuel président sortant du Conseil de l’industrie forestière du Québec

Il faut d’abord souligner que la pandémie a relativement épargné la région. Lundi, on apprenait que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’avait enregistré aucun nouveau cas de COVID-19 au cours des deux dernières semaines. Depuis le début de la crise, seulement 330 personnes ont été affectées par la COVID-19 et il n’existe aucun cas encore actif aujourd’hui.

« Notre industrie a été épargnée parce qu’elle a été identifiée comme un service essentiel, ce qui était absolument le cas. On a tous été stupéfaits au début de la pandémie par le mouvement de panique autour du papier de toilette. Même chose pour le papier tissu pour les mains, la fabrication des masques, des contenants en carton pour transporter les médicaments. On avait besoin de nos produits. »

« Nos entreprises ont donc pu poursuivre leurs activités en intégrant dès le départ des mesures d’hygiène très strictes. Si la fermeture de l’économie a provoqué une chute brutale des mises en chantier, nos scieries ont quand même pu opérer normalement parce que l’industrie de la rénovation a pris le relais », souligne Denis Lebel.

Un constat que me détaille, chiffres à l’appui, Michel Vincent, économiste forestier au CIFQ. Le nombre de mises en chantier, qui avait atteint en début d’année le niveau annuel de 1,5 million aux États-Unis, a chuté à 800 000 en mars avant de remonter progressivement et de retrouver prochainement la marque du million.

« Pour la première fois depuis très longtemps, l’activité de la rénovation a surpassé celle des nouvelles constructions aux États-Unis. C’est du presque jamais vu. Les prix qui étaient à 590 $ US le mille pieds planche avant la pandémie ont chuté à 510 $ US en mars, mais ils remontent depuis et ont même franchi la barre des 600 $ US », constate l’économiste.

Les scieries qui avaient constitué des stocks plus importants au début de la crise réussissent à les écouler et peuvent maintenir la cadence grâce à cette demande soutenue.

Beaucoup de gens ont acheté des maisons existantes et les rénovent. Ils avaient le temps et la volonté de le faire. Ceux qui ont vendu leur logement vont en faire construire de nouveaux et cela va alimenter le marché.

Michel Vincent

Entendons-nous, la pandémie n’a pas été une bénédiction pour la principale région forestière du Québec, responsable de 25 % de la récolte annuelle, mais la crise n’a pas fait trop de victimes humaines ni économiques.

Denis Lebel quittera ses fonctions au CIFQ et prendra sa retraite le 14 août prochain. L’ex-ministre rappelle que l’industrie forestière emploie 60 000 personnes au Québec et génère des revenus de 14 milliards. C’est une industrie qui cherche à se réinventer et à faire une plus large contribution à la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre.

Une usine carboneutre

La volonté de l’industrie de réduire son empreinte environnementale est notamment manifeste à l’usine de pâte kraft de la société Résolu à Saint-Félicien. Le rêve que le directeur général de l’usine, Jean Ménard, s’active à réaliser est d’arriver à une usine à production carboneutre.

« Ça fait 25 ans que je travaille ici et on a toujours pris des initiatives dans ce sens et on est en train d’y arriver », souligne l’ingénieur.

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Jean Ménard, directeur général de l’usine de pâte kraft de la société Résolu à Saint-Félicien

L’usine de pâte kraft de Saint-Félicien est pratiquement autosuffisante sur le plan énergétique. L’usine produit son énergie à partir de trois turbines à vapeur qui utilisent la biomasse des résidus forestiers pour générer 40 mégawatts de puissance. L’usine exporte même une dizaine de ses mégawatts.

L’entreprise a réalisé en 2018 un investissement de 60 millions pour augmenter de 61 tonnes par jour sa production de pâte et de 1 mégawatt sa production d’énergie.

« On utilise encore du gaz naturel pour faire fonctionner notre four à chaux, mais on a un nouveau projet où on va utiliser de la planure de bois, ce qui va réduire notre utilisation de gaz naturel », explique Jean Ménard.

L’usine de Saint-Félicien s’est aussi associée à l’entreprise CO2 Solutions pour récupérer le gaz carbonique de ses émissions de gaz naturels et les utiliser dans le parc de serres attenant à l’usine pour y dynamiser la photosynthèse.

« On poursuit le projet avec un nouveau partenaire italien qui a pris le relais de CO2 Solutions et on va aussi assurer le chauffage des serres en hiver en utilisant nos rejets qui iraient normalement dans l’atmosphère en les transformant en vapeur. Cela va permettre aux serres Toundra d’éviter de brûler du gaz naturel », se réjouit l’ingénieur.

Le parc de serres Toundra attenant à l’usine de Saint-Félicien est en train de terminer une nouvelle expansion. Sa taille sera presque équivalente à celle de l’usine de pâte. Le projet de 100 millions permettra de produire des concombres 12 mois par année à Saint-Félicien. L’industrie forestière prend son virage vert.