Le Québec tout entier est engagé vers la reprise économique et chacune de ses régions, chacun de ses secteurs industriels la vivent de différentes façons. Notre chroniqueur est parti sur la route pour témoigner de la vitalité de nos régions et des difficultés avec lesquelles elles doivent composer.

(Chibougamau) Ses activités ont beau avoir été perturbées au tout début de la pandémie et ralenties par la fermeture totale du Nord-du-Québec jusqu’au 9 juin dernier, Chantiers Chibougamau n’a pas freiné pour autant ses projets d’expansion. L’entreprise termine ses investissements de 370 millions pour relancer l’usine de pâte kraft de Lebel-sur-Quévillon – fermée depuis 2005 –, où on amorcera la production d’ici à la fin de l’été.

Chantiers Chibougamau est devenu quelque chose d’énorme dans la région. L’entreprise, fondée en 1961 par Lucien Filion, fabriquait au départ des poutres qui permettaient aux sociétés minières de construire leurs galeries souterraines.

PHOTO JEAN-PHILIPPE DÉCARIE, LA PRESSE

Frédéric Verreault, directeur exécutif, développement corporatif de Chantiers Chibougamau

Au fil des ans, l’entreprise s’est lancée dans le bois de sciage, puis dans la fabrication de poutrelles de bois lamellé-collé et le bois massif. Chantiers Chibougamau est aujourd’hui l’un des plus importants fabricants de bois d’ingénierie en Amérique du Nord.

L’entreprise emploie 600 personnes à Chibougamau, une ville de 7400 habitants. Disons que c’est le plus gros employeur de la région…

Mais l’entreprise a aussi élargi son rayon d’action en acquérant, il y a cinq ans, la scierie Landrienne, localisée plus au sud de Chibougamau, qui emploie 200 personnes, et en rachetant en 2018 l’usine de pâte kraft de Domtar à Lebel-sur-Quévillon, qui était fermée depuis 2005.

PHOTO FOURNIE PAR CHANTIERS CHIBOUGAMAU

Chantiers Chibougamau a racheté en 2018 l’usine de pâte kraft de Domtar à Lebel-sur-Quévillon, qui était fermée depuis 2005.

« On est en train de terminer nos investissements de 370 millions à Lebel-sur-Quévillon, où l’usine a été totalement rénovée et modernisée. On a déjà embauché 240 des 270 travailleurs qui vont produire bientôt 300 000 tonnes de pâte kraft par année », m’explique Frédéric Verreault, directeur exécutif, développement corporatif de Chantiers Chibougamau et responsable du bureau de Montréal, qui emploie 60 professionnels.

Ici comme partout ailleurs, les derniers mois n’ont pas été faciles. L’entreprise localisée dans le Nord-du-Québec pouvait poursuivre ses activités, parce qu’une partie de l’activité forestière – la production de pâte – était considérée comme essentielle, mais le bois d’ingénierie ne l’était pas, et il fallait limiter à tout prix toute contagion potentielle.

« On a tout fermé l’usine durant une semaine à la fin de mars avant de reprendre graduellement certaines activités. Depuis le 9 juin, on est revenus complètement à la normale », souligne Frédéric Verreault.

Se lancer dans la fabrication de pâte alors que partout dans le monde, on constate une diminution radicale et inexorable de l’utilisation du papier, n’est-ce pas un pari un peu téméraire ?

« La pâte kraft sert à la fabrication du papier tissu et du carton qui est utilisé dans la restauration et qui a remplacé le styromousse. La demande est en explosion partout dans le monde, et la pâte produite à partir de l’épinette noire de l’Abitibi est d’une qualité nettement supérieure », répond le forestier.

La production de pâte vient aussi compléter l’intégration verticale des activités de Chantiers Chibougamau, qui produit annuellement 350 000 tonnes de copeaux avec ses deux scieries. La nouvelle usine de pâte de Lebel-sur-Quévillon va absorber tous les copeaux de l’entreprise qui devra même en acheter 250 000 tonnes additionnelles par année.

Malgré la crise de la COVID-19, nous, on est en mode embauche à l’usine de pâte de Lebel et ici à Chibougamau. On a besoin de monde.

Frédéric Verreault

L’entreprise, qui appartient toujours à la famille Filion, est devenue la véritable locomotive économique du Nord-du-Québec. La mairesse de Chibougamau, Manon Cyr, peut en témoigner.

« Juste pour Chibougamau, l’entreprise verse plus de 25 millions en salaires et réalise pour 35 millions d’achats de biens et de services. C’est là qu’on voit la différence quand une entreprise est enracinée dans une région et que sa direction y vit », constate Mme Cyr.

Spécialiste du développement économique et de l’occupation du territoire nordique, Manon Cyr a travaillé à la Société de développement de la Baie-James, à Hydro-Québec, au ministère du Développement économique et, depuis 2014, elle a été présidente et vice-présidente du gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James.

Manon Cyr était pleinement en accord avec la décision du gouvernement de fermer le territoire de la Jamésie aux non-résidants, même si cela a pu ralentir un peu l’activité économique.

« On est bien équipés ici avec l’hôpital de Chibougamau, mais pas pour gérer l’afflux de gens touchés par une pandémie. Tous les cas lourds sont transférés ailleurs. Il fallait d’abord protéger nos gens et ceux des communautés crie et inuite », plaide-t-elle.

Cela dit, la pandémie et la fermeture du territoire ont tout de même eu des effets bénéfiques pour l’économie régionale, puisque tout le monde a pris l’habitude de magasiner à Chibougamau et dans les environs.

La mise en veilleuse des projets d’exploitation de la mine de diamants Stornoway et de celle de lithium de Nemaska attriste la responsable de Chibougamau. Elle souhaite une reprise rapide, puisqu’il s’agit de deux projets au potentiel énorme.

« Ces projets n’ont pas beaucoup de retombées économiques pour Chibougamau, puisque les sites sont autosuffisants et à plus de 300 kilomètres de la ville. Mais cela reste des projets qui sont innovants et qui développent une expertise nouvelle pour le Québec », explique Manon Cyr.

– Dans une version antérieure de cet article, nous avons mal nommé la scierie Landrienne. Nos excuses.