À cause de l’inaction des gouvernements, les voyageurs canadiens sont pris en otage. Non seulement les transporteurs aériens refusent de les rembourser pour les vols annulés en raison de la COVID-19, mais ils leur demandent des extras salés pour utiliser leur crédit.

Dans certains cas, le crédit ne vaut pratiquement rien. Absurde !

C’est exactement le constat auquel arrive Carmen Torres, qui a la double citoyenneté canadienne et chilienne. La dame de 69 ans passe la moitié de son année dans chacun des pays.

Elle avait payé 794 $ pour un billet d’avion aller-retour Santiago-Toronto-Montréal. Elle devait quitter le Chili le 27 avril pour retrouver sa fille et ses petits-enfants, qui vivent au Québec.

Mais son vol a été annulé à cause de la COVID-19. Comme la plupart des transporteurs aériens canadiens, Air Canada lui a offert un crédit valide pour 24 mois. Voyant que les vols reprenaient à la fin de juin, sa fille a déplacé son départ au 25 juin.

Malheureusement, Air Canada a exigé des frais de 797 $ pour couvrir l’écart de prix entre son ancien billet et le nouveau, qui lui revient désormais à 1592 $. C’est exactement deux fois plus cher que le tarif original !

« Vous avez choisi un vol plus cher et vous deviez payer la différence. Nous vous assurons cependant que vous avez obtenu le tarif le moins élevé disponible au moment de votre modification. Les frais de modification habituels ont été annulés », a répondu le service à la clientèle à la plainte de la fille de Mme Torres.

Pourtant, des transporteurs concurrents comme Delta, AeroMexico, Latam Airlines et American Airlines offrent pour les mêmes dates des vols aller-retour à des prix variant entre 750 et 900 $US, constate la dame.

Mais Mme Torres n’est pas libre de magasiner. Elle est prise en otage à cause de son fâcheux crédit qui ne vaut pratiquement rien et qui la force à verser encore plus d’argent à Air Canada.

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Des milliers de clients risquent de se retrouver dans la même situation.

En date du 31 mars 2020, Air Canada, qui n’a pas répondu à mes questions, détenait plus de 2,6 milliards de dollars en « produits passages perçus d’avance », soit de l’argent versé par ses clients.

« Si Air Canada force tous ses clients à payer, comme moi, le double du prix initial des billets, on peut calculer que la compagnie aura en fin de compte plus de 5 milliards de dollars dans ses coffres. Brillant sens des affaires ! », ironise Mme Torres.

Au début de la semaine, la direction d’Air Canada a d’ailleurs laissé entendre que les prix des billets d’avion risquaient d’être relativement élevés lorsque l’industrie pourra redécoller.

Avec les nouvelles mesures sanitaires, « c’est sûr que les prix vont monter d’ici un an ou deux », estime Steve Pelletier, président de Voyages Culturels Plus. Pour cette raison, il considère que les crédits sont un cadeau empoisonné pour les clients.

Beaucoup de clients seront forcés de payer un excédent. Et les autres perdront au change parce que le transporteur ne remboursera pas la partie inutilisée si la nouvelle réservation est moins coûteuse.

Dans un cas comme dans l’autre, le consommateur est perdant.

C’est sans compter que les crédits ne sont pas transférables, ce qui fait en sorte que certains clients ne seront pas en mesure de les utiliser.

« Les crédits inutilisés vont devenir des profits nets pour les transporteurs aériens », dénonce Elise Thériault, avocate chez Option consommateurs. Mercredi, l’organisme a lancé une pétition à la Chambre des communes demandant au gouvernement fédéral de forcer les compagnies aériennes à rembourser les consommateurs.

« Le Code civil est clair à l’effet qu’on doit rembourser le client lorsqu’on ne fournit pas un service en raison d’un cas de force majeure. Pour nous, il est impensable que le consommateur soit pris en otage », clame l’avocate.

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Pendant ce temps, Ottawa vient en aide aux transporteurs, sans exiger qu’ils remboursent leurs clients comme l’ont fait les États-Unis et l’Union européenne (en passant, Air France vient d’annoncer que les clients canadiens pourraient choisir entre un remboursement et un crédit bonifié, une solution qui pourrait servir de modèle chez nous).

Par exemple, Air Canada recevra la subvention salariale d’urgence qui assure jusqu’à 75 % du salaire des employés. L’entreprise a obtenu un prêt de 788 millions de dollars d’Exportation et développement Canada. De plus, elle devrait être admissible au Crédit d’urgence pour les grands employeurs.

« Ainsi, en tant que contribuable, j’aide déjà généreusement Air Canada », considère Mme Torres.

Et voilà qu’Air Canada et Transat A. T. font du lobbying auprès du gouvernement du Québec !

« On comprend qu’il faut des programmes de sauvegarde pour les transporteurs aériens, mais il ne faut pas que ça se fasse sur le dos des consommateurs », martèle Jacob Charbonneau, président-directeur général de Volenretard.ca.

Lundi, le premier ministre François Legault, qui a cofondé Transat A. T., a dit qu’il souhaiterait que les voyageurs soient remboursés, sans pour autant avancer de solution.

Ça serait le temps d’y voir. À l’approche de l’été, beaucoup de clients qui avaient versé un dépôt se font réclamer le paiement final pour un voyage qui risque d’être annulé. Ils se retrouvent devant un affreux dilemme : annuler leur voyage et perdre leur dépôt ou compléter le paiement… qui risque de se transformer en crédit.

Encore plus de consommateurs pris en otages.