Une crise économique aux dimensions « bibliques ». 

« Jusqu’à 70 % des entreprises non essentielles » confrontées à la nécessité de restructurer leurs dettes… 

Vous rappelez-vous au début de la crise, en mars, quand j’ai parlé à l’homme d’affaires Andrew Lutfy ? Le gars de Dynamite, du Four Seasons, du Royalmount… 

C’était ce qu’il prédisait. 

Un crash d’abord commercial forcé par les fermetures des restaurants, boutiques en tous genres, hôtels, évènements et autres entreprises obligées d’arrêter de faire des affaires, à cause de la pandémie, et donc privées de revenus. Et puis tout l’effondrement par effet domino qu’on peut ensuite imaginer, puisque toute société forcée de stopper du jour au lendemain a aussi des fournisseurs à payer et qu’elle fait vivre… Des usines dans les pays en voie de développement jusqu’aux propriétaires des centres commerciaux ici, en passant par toute une gamme de cols bleus, cols blancs, professionnels et autres artistes, dont les emplois sont inextricablement liés à tous ces commerces paralysés par ce cas de force majeure.

Malgré l’aide gouvernementale, la catastrophe était prévisible.

Et elle commence.

Jeudi, deux géants ont annoncé qu’ils se mettaient à l’abri de leurs créanciers.

Aldo, l’entreprise montréalaise qui dessine, fait fabriquer et vend des chaussures dans 3000 boutiques du monde entier et qui emploie 8000 personnes, a déposé son bilan au palais de justice de Montréal et dit être de près de 300 millions de dollars dans le rouge.

Et Neiman Marcus, la chaîne américaine de grands magasins chics, a aussi annoncé que, criblée de dettes, elle avait décidé d’avoir recours à la protection de la loi. Dans son cas, les supputations allaient bon train depuis un moment.

Selon Business of Fashion, le magazine spécialisé qui suit le secteur de la mode, c’est pour le moment le morceau le plus important de cet écosystème commercial à fléchir, mais certainement pas le premier.

Même H&M, l’immense détaillant suédois de mode au rabais, pourtant bien présent sur le web, a vu ses ventes plonger de 60 % pendant le mois de mars. 

Il n’y a pas que les fermetures de boutiques qui ont eu un impact, mais aussi, à l’évidence, une vague de frilosité sans précédent chez les consommateurs, sur fond d’incertitude totale côté revenus.

Est-ce donc le début d’une série de chutes spectaculaires dans le monde de la vente au détail ?

À l’évidence. 

Même Reitmans, l’entreprise montréalaise quasi centenaire, a fait savoir qu’elle cherchait du financement pour l’aider à passer à travers la situation actuelle.

Est-ce que 70 % des vendeurs de produits et services non essentiels vont se retrouver au palais de justice ?

Pas nécessairement. Les tribunaux vont être débordés !

Mais les investisseurs et les spécialistes en restructuration de dettes vont être occupés. 

***

On a beaucoup beaucoup parlé de l’hécatombe tragique chez les aînés, ces derniers temps, causée par le virus, mais la crise économique où nous entrons sera elle aussi remplie de drames humains bien réels, sans précédent.

Déjà les banques alimentaires sont débordées.

Je l’ai déjà dit, tout ça me fait penser aux récits qu’on nous faisait de la crise qui a éclaté en 1929.

Quand on parle de la nécessité de gérer la contagion, mais aussi, en même temps, de la nécessité de relancer l’économie, on ne parle pas uniquement de redonner aux propriétaires d’entreprises la possibilité de recommencer à gagner des revenus et de s’enrichir.

On parle d’emplois. On parle de PME. On parle de gens qui ont besoin de travailler, de familles, de personnes, qui vont tomber de haut, qui vont en arracher. Et dans tous les créneaux.

La crise va faire tomber les entreprises trop endettées, pas assez adaptées aux besoins et aux réalités du commerce actuel. Elle va aussi transformer les activités. Tout chambouler. Et bien du monde risque de perdre son job et son revenu en chemin.

Pensez-vous, par exemple, qu’Aldo, puisqu’il est question de cette entreprise, a besoin de ses 3000 boutiques maintenant que la crise a montré les avantages de la vente en ligne ?

On peut s’attendre à ce que de plus en plus de commerces réduisent considérablement le nombre de leurs commerces sur rue, et donc leurs stocks, pour passer à des méthodes de vente plus dynamiques, informatisées.

Les algorithmes et les machines n’attrapent pas de virus, n’ont pas besoin qu’on se tienne à distance. Et la crise a fait découvrir les ventes en ligne à toute une frange de consommateurs qui ne les connaissaient pas. Certains commerces ont vu leurs ventes en ligne décupler. C’est le cas de Canadian Tire, dont nous parlons plus loin dans la section Affaires.

Le virus est arrivé au cœur d’une situation commerciale déjà en pleine mouvance, avec l’automatisation de tout. Avec de nouvelles considérations environnementales et éthiques aussi, des questionnements face à la fabrication à l’étranger dans des usines aux conditions difficiles, en plus. Est-ce un hasard si H&M a vu ses ventes chuter dramatiquement, pendant que l’américain The RealReal, le grand revendeur en ligne de vêtements d’occasion, voyait les siennes grimper de 11 % au premier trimestre de 2020 ? L’avenir le dira.

Des refontes totales de systèmes de production et de commercialisation sont à prévoir.

C’est dans ce contexte qu’on va voir des centaines d’entreprises demander de revoir leurs obligations envers leurs créanciers.

Certaines ne s’en remettront pas.

D’autres en profiteront pour mieux affronter l’avenir.

Mais chose certaine, dans un mois, un an, rien ne sera plus pareil.