Alors que la nouvelle mouture de l’ALENA doit entrer en vigueur le 1er juillet, l’industrie de l’aluminium du Canada est aux aguets à la suite d’une récente décision du département du Commerce américain de mettre sur pied un mécanisme de surveillance des exportations d’aluminium vers les États-Unis.

Cette décision a été annoncée après que l’American Primary Aluminium Association (APAA) eut exercé des pressions sur l’administration Trump et mené une campagne médiatique dans laquelle elle dénonçait sans ménagement une prétendue hausse des exportations canadiennes de l’aluminium aux États-Unis.

La décision du département du Commerce américain, qui est tombée le 29 avril, doit permettre d’établir un mécanisme de surveillance calqué sur celui qui existe pour les exportations d’acier. La mesure a d’ailleurs été saluée par l’APAA dans un communiqué publié lundi.

Ce mécanisme, une fois en vigueur, fournira un outil efficace pour déterminer rapidement les hausses des importations et l’évasion des tarifs qui menacent l’industrie américaine de l’aluminium. À titre d’exemple, ce mécanisme aurait permis de relever rapidement la hausse des importations canadiennes.

Mark Duffy, président-directeur général de l’APAA, dans un communiqué de presse

Fait à noter, les attaques de l’APAA contre l’industrie canadienne de l’aluminium ont été reprises par l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee dans un texte publié récemment dans le quotidien The Washington Times. M. Huckabee, qui a été candidat aux primaires du parti républicain en 2016, est aussi un analyste invité à Fox News, le réseau de prédilection du président des États-Unis, Donald Trump.

L’APAA représente seulement deux des entreprises d’aluminium aux États-Unis, soit Century et Magnitude 7, lesquelles comptent moins de 3 % de tous les emplois de l’industrie. La société Glencore, qui est propriétaire de Century, mène quant à elle une guerre des tarifs contre le Canada depuis deux ans.

Mise en garde au gouvernement Trudeau

Mais sa campagne soutenue a donné des résultats qui forcent l’Association de l’aluminium du Canada (AAC) à être sur ses gardes. L’AAC invite d’ailleurs le gouvernement Trudeau à se montrer ferme pour contrer l’adoption de politiques protectionnistes injustifiées au sud de la frontière.

D’autant plus que les données colligées par le Bureau du représentant américain au commerce démontrent sans équivoque que les importations américaines d’aluminium primaire en provenance du Canada correspondent aujourd’hui essentiellement aux niveaux antérieurs à la mise en œuvre des tarifs de l’article 232, le 1er juin 2018.

Pour l’AAC, la source du problème se trouve ailleurs. « L’American Primary Aluminum Association blâme injustement le Canada pour les problèmes sur le marché mondial causés par la surcapacité subventionnée en Chine », a affirmé à La Presse Jean Simard, président et chef de la direction de l’AAC.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Simard, président et chef de la direction de l’AAC

« Le Canada est depuis des décennies un fournisseur fiable d’aluminium produit de façon responsable pour les États-Unis et constitue un élément clé de sa chaîne d’approvisionnement », a-t-il fait valoir.

M. Simard a ajouté que le Canada avait été le premier pays parmi les signataires de l’ALENA 2.0, également connu sous le nom de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), à se doter d’un « système robuste de surveillance » de ses importations d’aluminium dans le but précis de contrer toute possibilité de transbordement par un pays tiers, dont la Chine.

Résultat : l’APAA se trompe carrément de cible en attaquant l’industrie canadienne de l’aluminium, a soutenu M. Simard.

« Au-delà des effets actuels dus à la pandémie de COVID-19, le principal défi de l’industrie mondiale de l’aluminium demeure aujourd’hui la surcapacité d’aluminium fortement subventionnée en Chine. Au cours des cinq dernières années, la surcapacité chinoise a augmenté de 60 %, et ce métal est de plus en plus exporté vers des pays tiers, ce qui fausse davantage les marchés mondiaux. La Chine a exporté plus de 3,7 millions de tonnes de produits laminés à plat en aluminium vers le reste du monde en 2019, soit une augmentation de près de 68 % en seulement cinq ans », a-t-il affirmé.

Ottawa dit respecter ses obligations

Au bureau de la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, responsable des négociations de l’ACEUM, on assure que le Canada respecte ses obligations.

« Notre gouvernement est déterminé à défendre notre secteur de l’aluminium ainsi que ses travailleurs. En plus de nous être battus pour une levée totale des tarifs américains sur l’aluminium et d’avoir réussi à les faire lever en mai 2019, nous avons renforcé nos réglementations antidumping et créé de nouveaux outils pour l’Agence des services frontaliers du Canada afin de déterminer s’il y a de l’aluminium déversé au Canada », a affirmé Katherine Cuplinskas dans un courriel à La Presse.

Le nouvel ALENA apporte aussi plusieurs avantages pour le secteur de l’aluminium, dont une garantie que 70 % de l’aluminium contenu dans les voitures de l’ALENA provienne de l’Amérique du Nord. Nous croyons fermement que nos exportations d’aluminium ne présentent pas une menace au marché américain.

Katherine Cuplinskas

Malgré tout, l’AAC craint-elle que l’administration Trump donne suite aux pressions du lobby américain ? « En année électorale présidentielle, tout est possible, mais nous croyons qu’avec l’entrée en vigueur prochaine de l’ACEUM, les énergies seront plutôt mises à réaliser la pleine valeur de cet accord », a répondu Jean Simard.

L’AAC et son pendant américain, l’Aluminum Association des États-Unis, qui représente 97 % de la masse critique de l’industrie, travaillent de concert à favoriser la relance du secteur avec l’entrée en vigueur prochaine de l’ACEUM.

« Après les deux conflits ferroviaires, la COVID-19 et ses répercussions sur l’économie mondiale, disons que le marché nord-américain de l’aluminium a déjà assez souffert et que nos énergies devraient plutôt être canalisées vers la relance et le règlement du problème de la surcapacité chinoise », a conclu M. Simard.

L’ACC représente trois géants de l’industrie de l’aluminium, soit Alcoa, Aluminerie Alouette et Rio Tinto. Ces trois entreprises ont 10 usines au Canada, dont 9 au Québec. Elles emploient plus de 9000 personnes.