Le flot extraordinaire des dépenses engagées par les gouvernements d’Ottawa et des provinces pour atténuer les impacts de la crise fera exploser les déficits. Il pourrait aussi mettre à mal leur cote de crédit et faire augmenter le coût des emprunts.

Les programmes d’aide annoncés jusqu’ici par Ottawa et les provinces totalisent 351 milliards. Privés de revenus, les gouvernements ont besoin d’argent et multiplient les emprunts ces temps-ci. En une seule journée, le 14 avril dernier, les provinces canadiennes ont émis pour 8,25 milliards d’obligations sur les marchés financiers, un record de tous les temps, souligne Dominique Lapointe, économiste principal chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Les titres provinciaux délaissés par les investisseurs au début de la crise ont reçu un coup de main de la Banque du Canada, qui intervient pour faciliter le recours des provinces au crédit. Le programme de rachat de 50 milliards de titres des provinces par la banque centrale semble avoir l’effet escompté.

Ces emprunts feront exploser les déficits. Celui du fédéral atteindra cette année 252,1 milliards, soit 10 fois plus que ce que le gouvernement avait prévu. Du côté des provinces, l’économiste de la Banque Royale Robert Hogue a calculé que leur déficit total sera multiplié par six cette année. Il passera de 10,2 milliards en 2019-2020 à 63,1 milliards en 2020-2021.

Le Québec n’y échappera pas : son surplus budgétaire prévu se transformera cette année en déficit de 13 milliards, selon la Banque Royale.

Cotes de crédit sous surveillance

Le Canada est, avec l’Allemagne, le seul pays du G7 à avoir la cote de crédit AAA-stable de S&P Global Ratings. Il risque une révision à la baisse, estime Dominique Lapointe, compte tenu de la détérioration importante des perspectives économiques canadiennes.

S&P Global Ratings vient de revoir à la baisse la perspective de l’économie australienne, de AAA-stable à AAA-négatif, à cause de l’impact prévisible de la crise de la COVID-19.

La même chose peut arriver au Canada, qui est une petite économie ouverte comparable à celle de l’Australie.

Dominique Lapointe

Comme en Australie, le gouvernement canadien a ouvert les vannes pour atténuer le choc de la fermeture de son économie. Mais l’économie canadienne souffrira plus de la crise que l’Australie, qui n’a pas à encaisser une chute du prix de ses ressources naturelles comparable à celle qui frappe le pétrole. Parce que le prix du pétrole s’est effondré et que la frontière avec son principal partenaire économique, les États-Unis, restera fermée encore longtemps, le Canada se remettra plus lentement de la crise, estime Dominique Lapointe.

L’augmentation rapide des dettes des provinces, qui s’ajoutent à la dette fédérale, est un test pour la cote de crédit du Canada. Avant la crise, les dettes cumulées des provinces étaient plus élevées que celle du gouvernement fédéral, selon Bloomberg.

Même si le gouvernement fédéral n’est pas responsable des dettes des provinces, les marchés financiers présument généralement qu’Ottawa viendrait au secours d’une province en faillite.

Une révision possible

Tous ces éléments pèsent dans la balance des firmes qui évaluent la qualité du crédit du pays. Il y a un mois, DBRS Morningstar et Moody’s ont maintenu la cote du Canada, tout en prévenant qu’une révision était possible advenant une détérioration des conditions économiques.

Depuis, la crise pétrolière s’est aggravée et la possibilité d’une révision du dossier de crédit du Canada par S&P Global Ratings, la principale firme de notation, est possible, selon l’économiste Dominique Lapointe.

Une révision à la baisse des perspectives (de stables à négatives, comme c’est arrivé à l’Australie) est plus probable qu’une décote, estime-t-il. « Si ça arrive, ça aura moins d’impact sur les coûts d’emprunts à cause des interventions annoncées par la Banque du Canada, qui est plus proactive que lors des dernières récessions pour supporter l’économie ».

De son côté, l’économiste de la Banque Royale souligne que les taux d’intérêt très bas vont aider le Canada et les provinces à supporter le poids de la dette supplémentaire. « Ça va prendre des années avant de les réduire, dit-il. Le service de la dette va augmenter, mais les taux d’intérêt bas vont aider. »