On n’avait pas le choix. Les fortes perturbations économiques générées par la lutte contre la pandémie de coronavirus commandaient des actions de nos gouvernements tout aussi immédiates que vigoureuses. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait en adoptant des mesures énergiques de soutien à l’emploi et à la survie financière des entreprises. Cet effort de guerre est-il toutefois en train de ressusciter le concept d’État-providence ?

C’est la question que plusieurs se posent et qui m’est spontanément venue à l’esprit mercredi midi lorsque j’ai entendu le premier ministre Trudeau annoncer que le gouvernement fédéral allait maintenant subventionner jusqu’à 100 % des salaires des emplois d’été des étudiants, dans le cadre de son programme Emplois d’été Canada.

Cette nouvelle initiative a été mise sur pied pour stimuler la création d’emplois qui sera nécessairement au ralenti cet été pour les jeunes de 15 à 30 ans alors que l’activité économique tout entière ne fera qu’amorcer sa sortie de crise.

La grande majorité des entreprises voudront d’abord réembaucher les travailleurs qu’elles ont mis de côté en raison des contingences du confinement forcé avant de penser à trouver des remplaçants pour la période traditionnelle des vacances estivales. Bien des entreprises voudront aussi surtout et prioritairement recommencer à fonctionner de façon à peu près normale.

Mais l’annonce de la mise en place de ce nouveau programme Emplois d’été Canada m’a surtout rappelé la belle époque du milieu des années 70 lorsque le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau, père du premier ministre Justin Trudeau, a décidé qu’il fallait activement intervenir pour relancer une activité économique chancelante.

PHOTO JEAN GOUPIL, ARCHIVES LA PRESSE

Un étudiant s’occupe de la grande roue au Parc Belmont, alors qu’un policier passe. Nous sommes le 11 juillet 1973.

On était au sortir du premier choc pétrolier de 1973 et le Canada faisait soudainement face à un chômage de masse et à une inflation galopante.

Ottawa a décidé d’ouvrir les vannes et de générer de l’activité économique en mettant sur pied quantité de programmes de création d’emplois ciblés pour une période de temps limitée.

Je me souviens du Programme PIL, ou Programme d’initiatives locales, dont le gouvernement fédéral finançait 100 % du salaire des travailleurs embauchés pour une période de huit à dix semaines pour réaliser différents projets d’animation de quartiers.

On travaillait durant huit semaines dans un projet aux finalités obscures, mais qui exigeait une présence et une disponibilité physique pour, au bout du compte, devenir admissible à l’assurance-chômage (à l’époque, ce n’était pas emploi) pour un cycle de 52 semaines.

Le fédéral nous finançait donc un salaire durant huit semaines et nous assurait des indemnités de chômage pour un an. J’étais jeune musicien à l’époque et cela m’a permis, ainsi qu’aux autres membres de mon groupe, d’avoir droit à un revenu correct durant une année entière tout en pratiquant une passion de jeunesse. C’était la belle époque.

Une époque que je pensais révolue à jamais après l’avènement d’une grave récession en 1981 et l’augmentation inconsidérée et systématique des déficits budgétaires et de la dette nationale.

En 1973, la dette fédérale représentait 20 % du produit intérieur brut (PIB) canadien. Vingt ans plus tard, en 1994, le ratio de la dette fédérale / PIB canadien atteignait 66 %. C’est durant les années 80 que l’on a d’ailleurs mis au rancart le concept de l’État-providence et que l’on a adopté, au Québec, celui d’État Provigo…

Avec la centaine de milliards de dollars que va coûter la mise en place de la subvention à l’emploi et de la Prestation canadienne d’urgence (PCU), le gouvernement fédéral a clairement indiqué qu’il était prêt à assumer un déficit colossal pour atténuer les impacts de la crise tant pour les travailleurs que pour les entreprises. Et c’est exactement ce qu’il fallait faire.

L’histoire nous l’a enseigné. En temps de crise, il faut aller au plus urgent avec les armes qui sont à notre disposition, et le gouvernement fédéral a décidé d’utiliser la solution de la subvention à l’emploi et de la PCU pour amoindrir le choc des millions de mises à pied qui risquent de tarir l’activité économique.

Oui, toutes les mesures qui sont adoptées et qu’on n’hésite pas à adapter en cours de route, comme c’est le cas avec la subvention salariale dont les modalités d’application évoluent pour mieux coller à la conjoncture, vont avoir un prix qu’il faudra un jour payer. On ne crée pas de programmes permanents, on gère la crise que tous souhaitent la plus temporaire possible.

On n’assiste certainement pas à la renaissance de l’État-providence ni à une réminiscence de l’État tout-puissant et dirigiste, mais en cette période de crise et d’incertitude jamais explorée à ce jour, on assiste à l’émergence d’un État compréhensif qui sait pratiquer la compassion, et c’est de ça qu’on a besoin.