Alors que la consommation est au ralenti comme jamais, le gouvernement Legault donne un nouvel outil aux Québécois pour les aider à soutenir l’économie locale. Le site web du Panier Bleu leur permettra de trouver les commerces qui continuent, pendant la crise, à vendre leurs produits.

Québec souhaite que les consommateurs « y mettent du leur pour assurer la pérennité des entreprises » de la province. Mais ce n’est pas toujours facile de savoir ce qui est québécois, et de surcroît ce qui demeure accessible en ce moment (ventes en ligne, service à l’auto, récupération sans contact).

C’est justement pour éliminer « tout ce qui est un frein à la “découvrabilité” de nos commerces » que le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a annoncé dimanche la création d’un OSBL dont le site lepanierbleu.ca répertoriera les points de vente québécois. L’élu a rappelé que « 5 $ de plus dépensés par semaine, par foyer, c’est 1 milliard de dollars de plus dans l’économie [québécoise] ».

Déjà 2,7 millions de visiteurs

La plateforme – non transactionnelle – compte déjà les coordonnées de plus de 1100 points de vente. Tant les consommateurs que les entreprises et les associations peuvent soumettre une requête pour faire ajouter des noms.

Dimanche, le site a reçu « plus de 2,7 millions de visiteurs », un chiffre « astronomique », selon le directeur général de l’OSBL Alain Dumas. D’ailleurs, la plateforme n’a pas été en mesure de gérer ce flot, si bien qu’elle a été inaccessible une grande partie de l’après-midi.

« Ça crée un mouvement de solidarité ! » se réjouit le propriétaire des sept boutiques de vélo Bicycles Quilicot, Marc-André Lebeau. À son avis, Québec a marqué un coup de circuit en faveur des détaillants québécois en faisant l’annonce de son site web pendant le point de presse le plus regardé qui soit.

« Si Québec avait fait une campagne de pub à la télé et la radio, ça n’aurait pas eu autant d’impact. […] Pour moi, c’est comme une annonce au Bye Bye ! »

Plus équitable que Google

Ex-grand manitou de l’épicerie en ligne d’IGA pendant une quinzaine d’années et ex-vice-président du marketing et de la stratégie numérique de l’Aubainerie, M. Dumas rappelle que « sur Google, les petites entreprises passent souvent inaperçues », même si elles ont un site transactionnel. « Mais là, peu importe leur taille, elles auront droit à la même visibilité. »

Aussi précise-t-il que le site géolocalisera bientôt ses utilisateurs afin de leur fournir une liste pertinente d’adresses à encourager.

Le Panier Bleu bénéficiera aussi de l’expertise de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, de Sylvain Prud’homme (ex-Loblaw, Sobeys, Walmart et Lowe’s Canada), de Brigitte Coutu (Ricardo Médias) et de Josée Perreault (BRP), notamment.

Par le passé, d’autres initiatives semblables (des sites se décrivant souvent comme des Amazon québécois) n’ont pas connu de succès monstre, reconnaît Stéphane Drouin, qui deviendra président du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) le 8 avril.

Le grand défi, c’est la notoriété. Et Le Panier Bleu, ce sera sa force. Cette fois, il y aura un flow [achalandage].

Stéphane Drouin

« L’achat local a toujours été jugé intéressant par les consommateurs, mais pas prioritaire », poursuit-il. Mais il croit que ça changera. Car « le contexte économique actuel est un terreau fertile à la solidarité ».

Important de répéter même après 90 ans

De plus, c’est un premier ministre jouissant d’un fort appui de la population qui appelle directement « les Québécois à être solidaires » des entrepreneurs locaux et de leurs employés. « Il y a une manière d’aider nos entreprises maintenant. C’est d’acheter local. […] C’est le temps de changer nos habitudes d’achat », a déclaré François Legault.

Ce type de message que M. Legault a répété quelques fois depuis le début de la crise a notamment enchanté la haute direction du groupe montréalais Reitmans, qui possède 587 magasins au pays et emploie 7000 personnes (dont 90 % mises à pied temporairement).

« J’ai beaucoup apprécié le geste. C’est évident. C’est dans les moments difficiles que le sens de la communauté prend tout son sens », a commenté la présidente de l’enseigne Reitmans, Jackie Tardif, au cours d’un entretien avec La Presse vendredi. Elle constate que « beaucoup de monde ne sait pas que Reitmans est une entreprise québécoise », même si elle existe depuis plus de 90 ans. D’où l’importance de le répéter…

« Entrer les manufacturiers dans le loop »

Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) salue aussi la « très belle initiative » de Québec. Mais il importe, insiste son porte-parole Jean-François Belleau, « d’entrer les manufacturiers dans le loop », afin d’« informer les consommateurs de ce qui est fabriqué au Québec ».

« Il faut être capable d’identifier le produit québécois en premier lieu, et ensuite de voir chez qui tu peux l’acheter, poursuit-il. Si c’est seulement une liste de détaillants, ça ne va pas assez loin. Il faut identifier les produits québécois. » Pour le moment, l’idée d’ajouter les manufacturiers au répertoire n’est pas envisagée, affirme M. Dumas.

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui vient de lancer sa propre initiative de dynamisation de l’achat local en ligne baptisée J’achète bleu (jachetebleu.ca), appuie néanmoins Le Panier Bleu. Les entreprises qui y sont inscrites seront redirigées vers lepanierbleu.ca, jure-t-on.

« Nous posons un jalon important dans la préparation de la relance économique », croit le PDG de la FCCQ Charles Milliard, rappelant que le commerce en ligne est « en explosion » et que cela est « une occasion à saisir pour nos commerces ».

De fait, selon des données compilées par l’expert en commerce électronique Absolunet, les hausses de ventes atteignent 160 % en moyenne dans l’alimentation, l’électronique, la rénovation et les électroménagers (du 11 au 29 mars par rapport à la même période en 2019).

Site hébergé au Québec

Sur Twitter, les avis étaient généralement positifs au sujet du Panier Bleu, mais on pouvait aussi lire des reproches.

Tandis que certains ont critiqué la nomination d’Alexandre Taillefer, Marie France Bazzo a dit « bravo » au gouvernement. « Ça parle de jobs, de fierté, de territoire : voilà un fameux projet de société, né dans l’urgence, mais qui nous projette dans l’avenir », a-t-elle écrit.

D’autres ont rappelé que solutionlocale.ca, une plateforme similaire, « une initiative citoyenne, monté en deux semaines, sans argent, sans millionnaires, open source », existe déjà. D’autres se demandaient quelle est la différence avec mazonequebec.com et d’autres, enfin, déploraient qu’il s’agisse uniquement d’un répertoire plutôt qu’un site transactionnel.

Par ailleurs, sur Facebook, une image incluant la phrase « Supporter l’économie locale… Ça commence par choisir un hébergeur d’ici » circule. Elle laisse croire que le site est hébergé aux États-Unis. C’est faux, assure M. Dumas. Le nom de domaine a bel et bien été acheté à l’entreprise américaine GoDaddy, mais le site est hébergé au Québec.