D’abord, je veux que tout le monde me comprenne bien : je trouve excellente l’idée de proposer une plateforme centralisée comme Le Panier Bleu, annoncée dimanche par le premier ministre François Legault, pour encourager les Québécois à acheter des produits locaux.

Si vous me lisez un tant soit peu ici depuis le début de la crise et depuis le début de ma carrière à La Presse il y a 148 ans et si vous avez lu mon dernier livre L’avenir est dans le champ, vous le savez. Je suis une grande apôtre de l’achat local. 

Et je le pratique aussi. De Druide à Orphée, en passant par Harricana, Gabrielle Desmarais, Enamour, Prana, Marie Saint Pierre, Denis Gagnon, Attitude ou La Pinte, mon garde-robe, mon frigo, mon garde-manger, ma pharmacie, ma maison sont remplis de produits de marques québécoises. Et je ne parle même pas de mes achats de produits frais directement de la ferme. Ouais, je suis cette fatigante-là qui ne comprend pas qu’on achète du beurre d’arachides Kraft, même s’il est fait au Québec, quand il y en a de marques québécoises.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Des produits de la marque Enamour

Qu’un site web, endossé par le gouvernement, nous facilite la tâche en intégrant le plus possible le processus pour consommer québécois est donc une initiative louable que je ne peux que féliciter. Surtout maintenant, alors qu’il faut se servir du pouvoir d’achat qu’il nous reste pour faire preuve de solidarité envers nos concitoyens entrepreneurs.

En plus, depuis le début de la crise, je reçois chaque jour des tas de courriels parlant d’une initiative ici ou là pour encourager l’achat local. L’énergie que les Québécois déploient, sur le terrain, pour sauver les entreprises dangereusement malmenées par la crise est remarquable. Mais il est difficile de s’y retrouver.

Ce n’est pas une mauvaise idée que tout cela soit « fédéré », pour reprendre le terme qu’Alexandre Taillefer a utilisé quand je l’ai appelé dimanche après-midi pour parler de son projet.

Et il est bien que Le Panier Bleu le fasse : ramasser l’information en un seul endroit. Et propose même un nouveau logo pour tout ce qui proviendra d’entreprises du Québec et de propriété québécoise.

En parlant avec Taillefer, j’ai aussi compris que l’initiative n’a pas été pondue en deux ou trois semaines. Tout ça a commencé à être mis en place en réalité il y a trois ans, parce que l’homme d’affaires a toujours rêvé, espéré, pouvoir un jour créer un Amazon québécois, et il y travaille depuis tout ce temps.

Le dossier, il le connaissait déjà bien. Et ce n’est pas d’hier qu’il travaille avec Alain Dumas, ancien cadre en stratégie et aujourd’hui conseiller pour les entreprises, Sylvain Prud’homme, ancien patron de Rona au Canada, et Patrick Bibeau, de l’agence Bob, tous mentionnés durant le point de presse. C’est ainsi que ce projet a bifurqué pour devenir le Panier bleu, un répertoire non transactionnel, efficacement régionalisé, avec outils de recherches pointus, qui ne deviendra jamais un Amazon québécois, mais où, espère Taillefer, il sera de plus en plus convivial de faire du magasinage.

Les Québécois ont fortement réagi en entendant l’annonce : 2,7 millions de requêtes sur le site web après l’annonce. La plateforme a eu du mal à encaisser cet élan de la population.

Cela étant dit, il est important de rappeler qu’il existait déjà des initiatives intéressantes avant ce Panier Bleu. Il y a les sites transactionnels comme Ma zone Québec, Signé Local, Maturin, pour ne nommer que ceux-là, qui sont des sites de vente de produits québécois, spécialisés à leur façon. 

Le Panier Bleu est un organisme sans but lucratif où il ne faudra pas payer pour être sur les listes, mais où ne se fera aucune transaction. Ses gestionnaires ne sont pas payés. La posture est totalement différente.

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Donc, projet intéressant, mais cette annonce n’a pas été parfaite.

Dimanche, quand le ministre de l’Économie et de l’innovation, Pierre Fitzgibbon, a expliqué le projet au point de presse quotidien, il était assis avec François Legault et Richard Massé, de la santé publique, et c’est dans ce contexte qu’il a confié aux journalistes ce qu’était le Panier en nommant quatre de ses acteurs : Taillefer, Dumas et Prud’homme, puis plus tard Bibeau.

Bref, François et Pierre nous parlaient d’Alexandre, Sylvain, Patrick et Alain, six gars, alors qu’il était question de magasinage.

« Alexandre, c’est quand la dernière fois que t’as cherché une brosse à plancher faite au Québec ? », ai-je lancé en boutade à l’homme d’affaires quand je l’ai eu au téléphone.

« Une brosse à plancher, je ne sais pas, mais je peux te dire que j’achète du savon The Unscented Company. »

Et Taillefer m’a parlé de ses t-shirts et tous ses achats québécois, ce dont je ne doute pas, surtout considérant que sa conjointe, Debbie Zakaïb, dirige MMode, une dynamique organisation défendant corps et âme l’industrie de la mode québécoise. 

Mais on s’entend, ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Harvard Business Review : ce sont très majoritairement les femmes qui prennent les décisions d’achat dans les ménages – 94 % pour les meubles, 92 % pour les vacances, 60 % pour les voitures, 51 % des appareils électroniques. Et là, on ne parle même pas des vêtements, des produits ménagers, de la nourriture. 

Une statistique très souvent citée, notamment par Forbes et Bloomberg : les femmes prennent entre 70 % et 80 % des décisions de consommation au sein des ménages.

Fait que quand trois hommes qui nous parlent de trois autres hommes qui veulent nous aider à faire notre shopping en ligne, ça ne correspond pas à ma réalité.

Et après quelques coups de fil à d’autres femmes pour sonder le terrain, je me suis rendu compte que je n’étais vraiment pas la seule à penser la même chose et à avoir trouvé l’absence de femmes dans cette annonce un peu anachronique.

Taillefer n’a pas adoré que je lui parle de ça, mais a fini par admettre que mettre de l’avant les femmes qui ont été recrutées pour le conseil d’administration, notamment Brigitte Coutu, l’âme business du groupe Ricardo, et Sophie Boulanger, qui dirige BonLook, aurait été pertinent.

« Mais là, tu ne vas quand même pas commencer ton article avec ça ? », a-t-il ajouté.

Non, je n’ai pas commencé mon article avec ça.

Mais il n’était pas question que je n’en parle pas comme l’auraient voulu les dizaines et dizaines d’internautes qui m’ont reproché d’avoir évoqué le sujet sur Twitter. 

Et c’est là la troisième chose que je tiens à dire ici, en suivant les traces de ma collègue Isabelle Hachey, qui a écrit sur le sujet la semaine dernière.

Ce n’est pas parce qu’on est en crise qu’il faut arrêter de réfléchir, de regarder les choses d’un angle différent, de poser des questions, de s’étonner, de remarquer le détail qui cloche.

Oui, encourager l’achat local est une excellente initiative, mais si ça peut être mieux fait, si je trouve absurde que personne n’ait pensé à la question de la diversité pour ce point de presse et cette annonce, je ne me gênerai jamais pour poser mes questions. Et ce n’est pas l’égout d’insultes que j’ai reçues sur le réseau social qui me fera changer d’idée. À ceux qui les ont écrites : vous perdez votre temps. Et vous n’êtes pas beau à voir.