L’imposant marché des obligations d’entreprises cotées en Amérique du Nord, estimé à près de 9500 milliards US, demeure sous tension malgré les plans de soutien massifs à l’économie et aux marchés financiers mis en place depuis deux semaines par les gouvernements et les banques centrales au Canada et aux États-Unis.

« L’écart entre le taux moyen des obligations des sociétés et celui des obligations d’origine gouvernementale se maintient à son niveau le plus élevé – soit environ 400 points de base ou 4 % – depuis celui atteint au pire de la crise financière et de la récession de 2008-2009 », signale Carl Pelland, gestionnaire de portefeuille et cochef des placements en obligations de sociétés chez la firme montréalaise Addenda Capital.

« Le maintien d’un tel écart traduit l’ampleur de l’incertitude des investisseurs sur l’incidence de cette crise de pandémie sur les prochains résultats des entreprises et leur capacité de gérer leur endettement. Aussi, un tel écart illustre l’ampleur de l’affaissement de la liquidité du marché des obligations corporatives. Ce marché est pratiquement figé depuis trois semaines par une soudaine pénurie d’acheteurs, qui sont encore trop inquiets du risque d’impact du freinage très brutal de l’économie sur la solvabilité de ces entreprises ayant émis des obligations. »

Aux États-Unis, afin de freiner la dégradation du marché des obligations corporatives, la Réserve fédérale (Fed) a lancé la semaine dernière un plan sans précédent d’achats d’obligations corporatives de calibre « investisseur » (investor-grade dans le jargon financier, à la différence des obligations à haut risque, ou junk bonds, de notation inférieure).

Dans sa première mouture, ce plan de la Fed pourrait s’élever jusqu’à 100 milliards US (près de 140 milliards CAN) afin de « soutenir le bon fonctionnement de ce marché ainsi que le transfert efficace de la politique monétaire afin d’améliorer les conditions financières dans l’économie ».

La Banque du Canada

Pendant ce temps, de ce côté-ci de la frontière, la Banque du Canada vient à peine d’obtenir pour la première fois l’autorité d’intervenir directement dans le marché des obligations corporatives en cas de besoin.

« Quand on considère que la Fed vient de lancer son programme de soutien massif aux marchés obligataires alors que la dette des entreprises aux États-Unis atteint un sommet d’environ 80 % du PIB de l’économie, que devrait-il se passer avec la Banque du Canada alors que la dette des entreprises s’élève à environ 120 % du PIB de l’économie canadienne ? », signale Martin Roberge, analyste principal des marchés nord-américains chez Canaccord Genuity à Montréal, dans une note à ses clients-investisseurs la fin de semaine dernière.

À mon avis, bien que nous en sommes encore qu’au début des avis de décote financière dans le marché des obligations corporatives, il devient primordial que la Banque du Canada soit aussi prévoyante que la Fed à l’égard des marchés obligataires.

Martin Roberge

« Maintes entreprises d’envergure devront retourner bientôt dans le marché obligataire, et les interventions des banques centrales doivent empêcher que les écarts de taux d’intérêt soient trop grands, et augmentent d’autant les coûts d’emprunt pour ces entreprises. Autrement, qui voudra acheter de leurs titres de dette, et à quel prix ou quel taux d’intérêt ? »

De l’avis de Carl Pelland, chez Addenda Capital, aussi, il serait souhaitable que la Banque du Canada intervienne bientôt de façon plus décisive afin de favoriser le rétablissement de meilleures conditions de marché des obligations corporatives.

« Parce que, dans les conditions actuelles, des entreprises canadiennes d’envergure qui sont déjà assez endettées et dont les prochains résultats risquent d’être très dégradés, dans le secteur pétrolier et dans l’industrie, Bombardier par exemple, pourraient avoir beaucoup de difficultés à se refinancer sur le marché obligataire », estime M. Pelland.

« Par ailleurs, en précisant ses intentions envers les marchés obligataires, la Banque du Canada pourrait aussi donner un coup de pouce aux gestionnaires des caisses de retraite à l’approche d’une fin de trimestre qui s’annonce particulièrement compliquée en matière de rééquilibrage de leur répartition d’actifs. »