Le taux de chômage pourrait doubler au Québec si les exigences de confinement liées à la COVID-19 durent encore plusieurs semaines. Le taux passerait ainsi de 4,5 % à 9,4 %, et le nombre de chômeurs doublerait également, pour atteindre 425 000.

Je sais, cette prédiction apparaîtra surréaliste pour certains et affolante pour d’autres. Je réponds aux premiers qu’elle est basée sur des hypothèses prudentes et aux seconds que l’essentiel de ce boom du chômage devrait être temporaire.

Pour faire cette estimation, je m’en suis remis aux données sectorielles de Statistique Canada rapportées régulièrement par les employeurs. Seuls les secteurs directement touchés par les consignes des autorités ont été pris en compte, et non ceux qui pourraient ralentir indirectement en raison de la crise.

Par exemple, les bars et autres débits de boisson verront s’effacer la totalité de leurs quelque 14 000 emplois, compte tenu de l’imposition de leur fermeture par le gouvernement Legault. En ajoutant les cinémas, les théâtres et tout le secteur des arts et spectacles, de même que les maisons d’enseignement hors réseau (1), les pertes d’emplois directs grimpent à 85 000, ce qui équivaut à une hausse de 1,9 point du taux de chômage.

À cela s’ajoutent les mises à pied à prévoir dans les commerces, les restaurants, les hôtels et dans le secteur du transport aérien, qui pourraient se chiffrer à 135 000. Une telle hécatombe provoquée par la COVID-19 se traduirait par une augmentation de 3,0 points de pourcentage du taux de chômage. Combiné au secteur des bars et autres, l’impact grimpe à 4,9 points et à un taux de chômage qui passerait à 9,4 %.

Pendant quelque temps, cette situation rendra la vie pénible à des milliers de familles. Et les chiffres font mal dans le contexte où le Québec s’est enorgueilli ces dernières années d’avoir fait fondre son taux de chômage à des niveaux inégalés, le ramenant sous la moyenne canadienne, une première historique. Consolation, toutefois, si l’on peut dire : le Canada pourrait voir son propre taux passer de 5,6 % à 10,9 %.

La durée du confinement est centrale à cette estimation. Plusieurs entreprises garderont leur personnel – notamment les employés clés – pendant quelques jours, voire quelques semaines, question de mieux affronter la reprise post-crise, qui s’annonce forte.

Néanmoins, passé quatre à six semaines de ventes anémiques, les entreprises n’auront d’autre choix que de faire des mises à pied. Un sondage publié mardi par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) indique d’ailleurs que 20 % des PME ont commencé à faire des mises à pied. De plus, le quart des PME ne pourraient survivre plus d’un mois à une baisse des ventes de 50 %, ce qui serait le cas de nombre d’entre elles avec un confinement prolongé.

Le directeur de l’Institut du Québec, Jean-Guy Côté, juge prudentes mes hypothèses de mises à pied. Entre autres, pour les commerces, hôtels et restaurants, j’ai postulé que de 20 à 30 % des employés seraient mis à pied d’ici deux mois, pas davantage. De plus, le secteur des arts et spectacles compte un grand nombre de travailleurs autonomes, certainement plus de 20 %, qui perdront aussi leur emploi, mais qui ne sont pas pris en compte dans les données de Statistique Canada qui ont servi à faire l’analyse par secteur (2).

« Nous faisons le même genre d’analyse à l’Institut du Québec, en tenant compte aussi du ralentissement dans le secteur manufacturier. Et nous obtenons une hausse temporaire du chômage à 11 ou 12 %, dans ces eaux-là », explique l’économiste.

Un autre économiste expert du marché du travail, Mario Jodoin, ne veut pas se prononcer sur les impacts concrets de la crise. Néanmoins, il juge lui aussi que mes hypothèses sont prudentes. C’est d’autant plus le cas que le taux de syndicalisation est de moins de 8 % dans le secteur de l’hébergement et de la restauration et d’environ 17 % dans les commerces.

Cela dit, le marché de l’emploi est mouvant et notre analyse est statique. Ainsi, il est bien possible que des employés mis à pied dans certains commerces soient embauchés dans des supermarchés ou ailleurs, par exemple, où la demande est particulière. De plus, le réseau de la santé pourrait faire le plein de nouveaux employés pour juguler la crise.

Par ailleurs, en ayant un secteur public imposant, le Québec est davantage à l’abri des montagnes russes, puisque les employés du public touchés, comme les enseignants, conserveront leurs salaires. Et au bout du compte, un taux de chômage de 9,4 % signifie tout de même que plus de 90 % de la population active continuerait à avoir un emploi, si mes hypothèses se confirment.

Selon toute vraisemblance, les données que publiera Statistique Canada au début d’avril ne refléteront pas encore bien la tendance, avertit Mario Jodoin, puisque le relevé est fait au milieu du mois précédent (mi-mars), alors que la crise n’en est qu’à ses balbutiements.

Les chiffres de chômage du début de mai de l’agence fédérale devraient être plus sombres, mais ce sont surtout ceux de juin qui seront troublants si le confinement se poursuit, une fois que les derniers employeurs solidaires auront fait les choix déchirants.

En Italie, l’impact sur le chômage est encore ténu, car les fermetures des écoles et des lieux publics n’ont été ordonnées qu’au début de mars. En Chine, l’impact s’est surtout fait ressentir dans la province d’Hubei, pour laquelle il est difficile d’avoir des données fiables.

Trois fois plus de prestataires de l’assurance-emploi

Si le nombre de chômeurs double, l’impact sera encore plus grand sur le nombre de prestataires de l’assurance-emploi. En effet, seulement la moitié des 205 000 chômeurs actuels reçoivent des prestations, essentiellement parce que plusieurs ont épuisé leur période donnant droit au chômage.

Ce faisant, le nombre réel de prestataires québécois (environ 110 000) pourrait tripler si l’on ajoute les nouveaux chômeurs des prochains mois (220 500).

Pour l’ensemble du Canada, la crise pourrait faire 1,1 million de nouveaux chômeurs, pour en faire passer le total à 2,2 millions. Le nombre de prestataires gonflerait aussi de 1,1 million pour atteindre environ 1,6 million.

Cette forte progression devrait exercer une pression intense sur la caisse de l’assurance-emploi et obliger le fédéral à augmenter les taux de cotisation imposés aux employeurs et employés. En 2019, leurs cotisations se sont élevées à 22,8 milliards et les prestations à 20,8 milliards, soit un surplus de 2,0 milliards. Au 31 mars 2019, l’actif net de la Caisse s’élevait à 4,9 milliards.

Avec la fin du confinement, le nombre de chômeurs devrait rapidement reculer. Certains consommateurs qui avaient reporté des dépenses pourraient réactiver assez rapidement leurs achats et faire fondre le chômage. La force et la rapidité de la reprise pourraient dépendre de notre réussite à contenir la propagation du virus.

1– Il s’agit des écoles de formation privées autres que celles du primaire, du secondaire et du postsecondaire.

2– Les données sont tirées de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail, qui ventile les données selon 398 secteurs.