« Rester calme, c’est la première chose. »

Je suis au téléphone avec Christiane Germain, coprésidente de Germain Hôtels, et sa voix est effectivement posée. Je viens de lui demander quels conseils elle a à donner aux entrepreneurs qui se prennent la crise du virus en plein front. Pour préserver leur entreprise, sauver les meubles, bien tenir le volant.

Elle parle des conditions dans lesquelles les meilleures décisions seront prises pour faire face à la tourmente.

« Tu as besoin de ton sommeil, de récupérer », explique la femme d’affaires. Les nuits blanches sont parfois incontournables, mais ce sont les têtes reposées qui réfléchissent le mieux.

Elle suggère aussi de faire du sport, de bouger, d’évacuer son stress. « Je suis triste de ne pas pouvoir aller au gym. »

« Parce que tout repose sur la capacité de garder son sang-froid pour prendre des décisions. Et donc prendre des risques. »

Met-elle tous ses conseils à exécution pour elle-même ?

Le plus possible.

« Mettons que nous sommes frappés de plein fouet. »

Les hôtels Germain, depuis le début de la crise, ne font que gérer des annulations, dit-elle. 

Et ce n’est même pas le temps de penser à autre chose. Le gouvernement demande aux gens de rester chez eux. Les hôtels doivent respecter ça. Après, quand la crise sera passée, ça sera différent. Et s’il faut aller chercher de nouveaux clients en encourageant le tourisme local, profiter peut-être d’une certaine frilosité éventuelle pour les voyages à l’extérieur, les Germain seront là pour offrir des vacances au Canada.

Mais pas maintenant.

La femme d’affaires n’est pas la seule à être en plein ouragan.

Dimanche soir, Martin Picard, chef, homme d’affaires et figure de proue du Pied de cochon, une entreprise qui compte trois restaurants, dont deux cabanes à sucre et une centaine d’employés, a annoncé une restructuration sur-le-champ des opérations et a annoncé à 80 membres du personnel qu’ils étaient mis à pied.

L’entreprise fonctionnera désormais avec un groupe de 11 personnes, dont les copropriétaires, qui se mettront aux fourneaux, à la livraison, à la mise en marché. Le but de cette redéfinition du travail, dont le plan évolue de jour en jour : réduire la masse salariale et écouler les ingrédients en stock, y compris la production de sirop d’érable – la saison est excellente, en passant. Donc le Pied de cochon, dans une boutique à côté de son restaurant montréalais de l’avenue Duluth, vendra des repas de cabane à sucre à emporter, du vin, des produits de l’érable.

« J’ai réduit mes dépenses au max, dit Picard. La santé de notre entreprise est bonne, mais rien ne dit que c’est gagné. »

Son conseil pour traverser la crise ? Manger du sirop d’érable, des plats réconfortants. « C’est ça, le bonheur. »

André Labelle, spécialiste de la réorganisation et de la restructuration d’entreprise, a passé sa vie à aider des sociétés à se réorganiser. Son conseil en ces temps difficiles : regarder froidement et lucidement son budget, ses revenus, ses dépenses, et prendre des décisions rapidement. Ce n’est pas le temps, dit-il, d’attendre, de peser, de sous-peser, d’essayer de prévoir l’avenir.

L’incertitude est telle que le réalisme doit primer au quotidien. Même si les décisions sont difficiles. 

Caroline Biron, elle, est associée directrice au cabinet d’avocats Woods et présidente du conseil d’administration du Théâtre du Nouveau Monde. Elle gère la crise à deux endroits. Au TNM, l’institution est frappée de front. C’est fermé. Son conseil ? Il s’adresse au public, à tous ceux qui ont des billets ou des abonnements, au TNM ou ailleurs : ne demandez pas de remboursement, donnez cet argent sous forme de don à l’organisme, qui vous le revaudra. Les entreprises culturelles sont souvent fragiles. La meilleure façon de les aider à se tenir à travers la tempête, c’est de les soutenir financièrement directement. 

Comme avocate à la tête d’un cabinet, ses défis sont tout autres. « Il faut regarder les clients et voir où tu seras touchée dans tes revenus, mais aussi quels comptes [clients] seront affectés. »

« Il faut voir combien les clients à risque nous doivent, ce qu’on peut attendre, comment on peut les soutenir. »

Et en même temps, voir quelles dépenses peuvent être retardées.

Conseil de la gestionnaire ? « Essayer de trouver des moyens d’être utiles, créatifs, responsables. »

Jean-Pierre Léger, l’ancien propriétaire du Groupe St-Hubert, quant à lui, ne se plaint pas de ne plus être à la tête de l’entreprise. « Oh que ça m’enlèverait des heures de sommeil, cette crise, dit-il. Oui, je suis heureux de ne plus être là. »

Que ferait-il s’il y était encore ?

Il irait voir ses prêteurs et ses bailleurs de fonds pour leur demander de trouver des solutions avec lui. « Le monde entier est visé. C’est donc compréhensible. »

Cela dit, les restaurants St-Hubert ne sont pas fermés. Seules les salles à manger le sont. Tout ce qui est commande à l’auto, vente au comptoir, livraison à domicile continue. Et s’il y a une entreprise bien implantée dans la conscience collective québécoise le temps venu de faire venir de la nourriture à la maison, c’est bien elle.

Mais l’homme d’affaires est convaincu qu’il va y en avoir beaucoup, des entreprises qui vont tomber au combat. Ça va d’Alitalia jusqu’au café du quartier. 

« Il y a tellement de restaurants qui fonctionnent à la limite. »

Conseil de gestionnaire : comprendre que tout le monde est touché. Tout le monde. « Et qu’absolument personne ne sait de quoi demain sera fait. »