Les vieux routiers en ont vu d’autres. Les chocs pétroliers de 1973 et 1980, la bulle des technos de 2000, la crise du crédit de 2008… Mais jamais, jamais depuis la Seconde Guerre mondiale ils n’ont vu la Bourse s’écrouler de façon aussi fulgurante.

Avec la dégringolade de 9,5 % jeudi, le S&P 500 a effacé plus du quart de sa valeur depuis son sommet historique de la mi-février. Il n’aura fallu que 22 toutes petites journées pour que la Bourse américaine entre de manière fracassante en territoire baissier, que l’on définit par un repli de 20 % par rapport au sommet.

« Une baisse de 20 % se produit normalement sur un laps de temps moyen de 337 jours si elle est accompagnée d’une récession et de 140 jours sans récession », compare Stéfane Marion, stratège en chef de la Banque Nationale.

Ça veut dire qu’historiquement, il faut de 4 à 11 mois pour qu’un marché baissier se concrétise.

Ça veut dire que la baisse actuelle a été de 6 à 15 fois plus rapide que ce que l’on a observé en moyenne lors des 10 épisodes de marchés baissiers que la Bourse américaine a subis depuis les années 50.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Légende

Quel incroyable retournement de situation !

Il y a à peine quelques semaines, l’économie voguait dans les eaux paradisiaques du plein emploi. Aujourd’hui, elle a plongé dans le marécage d’une pandémie mondiale qui paralyse tous les secteurs.

À la mi-février, la Bourse surfait d’un sommet historique à l’autre, après avoir bondi d’environ 20 % au Canada et 30 % aux États-Unis en 2019. Aujourd’hui, elle vient de boire la tasse comme jamais.

Les marchés obligataires ont aussi connu une semaine absolument exceptionnelle, alors que les investisseurs se précipitaient sur les obligations pour mettre leur argent à l’abri. Cet engouement a fait grimper la valeur des obligations fédérales à long terme de 14 % depuis le début de l’année.

« C’est extraordinaire ! », s’exclame Michel Pelletier, vice-président chez Gestion de placement Eterna. « La vitesse du mouvement a été vraiment fulgurante, dit-il. Ceux qui n’étaient pas là n’ont pas eu le temps d’embarquer. »

Mais quand la valeur des obligations monte, leur rendement baisse. C’est ainsi que les taux d’intérêt sur les obligations du Canada de 10 ans ont flanché de 1,7 % en février à 0,5 % jeudi.

« C’est la rapidité de la propagation du virus dans l’hémisphère Ouest qui a rendu les marchés financiers très incertains », explique M. Marion.

Mais aussi, tout va de plus en plus rapidement.

Dans notre société de l’information, les nouvelles financières voyagent beaucoup plus vite qu’avant, ce qui amplifie les mouvements boursiers. À l’ère du « flash trading », les cracks de la finance bouclent les transactions en quatre millièmes de seconde. Leurs algorithmes propagent la peur à la vitesse de la lumière.

Maintenant que la Bourse est officiellement en territoire baissier, les investisseurs doivent se concentrer sur leurs objectifs à long terme et prendre leur mal en patience.

Au total, un marché baissier dure 539 jours et fait perdre 37 % aux investisseurs lorsque l’économie sombre en récession, ce qui s’est produit sept fois sur dix dans le passé. Il faut ensuite quatre ans avant que la Bourse remonte à son ancien sommet.

Mais lorsque l’économie s’en tire sans récession, la baisse se limite à 28 % et les investisseurs récupèrent leurs pertes en un an et demi.

Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Puisque la baisse s’est produite à la vitesse de l’éclair, « le retour au prochain sommet sera peut-être beaucoup plus rapide », espère M. Marion.

Bien sûr, la Banque du Canada, la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre ont réduit leur taux directeur pour fouetter l’économie. Et elles pourraient le réduire encore plus, selon M. Marion.

Mais une baisse de taux ne peut pas tout régler. Les gouvernements devront prendre d’autres mesures pour combattre la propagation de la COVID-19, mais aussi pour aider les entreprises à passer à travers la crise.

Comment réagiront les pays européens dont le quart de l’économie repose sur le tourisme ?

Comment résistera la chaîne de production mondiale aux quarantaines imposées dans différents pays ?

Comment les entreprises parviendront-elles à se financer alors que leurs profits sont en chute et que le marché du crédit souffre d’un inquiétant manque de liquidités ?

D’ores et déjà, on peut prédire que les statistiques économiques du deuxième trimestre donneront froid dans le dos.