Ce ne sont ni l’opposition des environnementalistes ni l’hésitation du gouvernement fédéral qui ont forcé Teck Resources à abandonner son mégaprojet de sables bitumineux Frontier, d’après un expert du secteur. La rentabilité était impossible avec le prix du pétrole actuel et prévisible à plus long terme.

« L’argument économique l’a emporté », estime Jean-Thomas Bernard, spécialiste en énergie et professeur à l’Université d’Ottawa.

Selon lui, les prix actuels et prévisibles du pétrole brut font en sorte que l’investissement de 20,6 milliards dans un nouveau site de production de pétrole bitumineux n’aurait pas été rentable.

Le président de Teck, Don Lindsay, a expliqué sa décision d’abandonner le projet Frontier par le contexte politique et social et n’a pas parlé de l’environnement économique du secteur pétrolier, qui a beaucoup changé dans la dernière décennie.

Le projet de Teck Resources a été lancé en 2011, quand le prix du brut tournait autour de 100 $US le baril. Le pétrole varie aujourd’hui entre 50 et 55 $US, un niveau trop bas pour espérer rentabiliser un investissement de cette envergure.

À plus long terme, rien ne permet de croire que les prix du brut vont revenir à des niveaux assez élevés pour rentabiliser les nouveaux projets dans les sables bitumineux. « C’est un des pétroles les plus chers au monde », souligne Jean-Thomas Bernard.

Comme l’offre de pétrole est abondante et que la demande est stable, il serait étonnant de voir apparaître d’autres projets comme Frontier, selon lui. « C’est assez difficile à prévoir », dit le professeur.

Pas une surprise

Teck Resources est la dernière d’une longue liste d’entreprises qui ont abandonné leurs projets d’investissement dans les sables bitumineux.

Depuis 2014, plusieurs entreprises étrangères ont délaissé le secteur ou réduit significativement leur mise. Des géants comme Shell, Statoil (Equinor), Total, ConocoPhillips et Marathon Oil sont parmi ceux qui se sont retirés en tout ou en partie.

Teck elle-même croyait de moins en moins au potentiel des sables bitumineux. Vendredi dernier, lors de la publication de ses résultats de l’exercice 2019, l’entreprise avait annoncé une radiation de la valeur de sa participation minoritaire dans Fort Hills, un site de production de pétrole bitumineux de Suncor.

Son président avait alors évoqué la possibilité de vendre cette participation de 21,3 % dans Fort Hills et de sortir des sables bitumineux.

Teck est d’abord et avant tout une entreprise minière, qui produit du charbon métallurgique, du cuivre et du zinc. Un analyste de TD, Greg Barnes, a souligné lundi que Teck n’avait pas dépensé beaucoup d’argent récemment dans son projet Frontier, ce qui pourrait indiquer que la décision de l’abandonner était prise depuis un certain temps.

L’abandon du projet Frontier se traduira par une radiation de 1,13 milliard, ce qui représente les coûts déjà engagés par l’entreprise depuis 10 ans. Le titre avait perdu 15 % depuis l’annonce des résultats et a baissé d’encore 2,7 % lundi, à 14,06 $, à la Bourse de Toronto.

D’autres projets énergétiques controversés

Coastal GasLink : le projet de pipeline de TC Energy veut relier Dawson Creek à Kitimat, en Colombie-Britannique, sur une distance de 670 kilomètres pour alimenter les installations de liquéfaction de gaz naturel de LNG Canada. C’est ce projet qui est à l’origine des blocages ferroviaires partout au pays actuellement. 

LNG Canada : la coentreprise formée de Shell, Petronas, PetroChina, Mitsubishi et Kogas veut construire des installations de stockage et de liquéfaction de gaz naturel à Kitimat pour l’exporter en Asie. Il s’agit d’un investissement estimé à 40 milliards, le plus important investissement privé de l’histoire du Canada.

Trans Mountain : l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain vise à ouvrir de nouveaux marchés en Asie pour le pétrole canadien. Racheté par le gouvernement fédéral en 2018, le projet est maintenant estimé à 12,6 milliards, ce qui représente un bond de 70 % depuis trois ans.

Énergie Saguenay : un consortium formé d’investisseurs américains veut construire des installations de liquéfaction de gaz naturel à Saguenay, au Québec. Le projet prévoit la construction d’un gazoduc de 750 kilomètres pour acheminer le gaz naturel de la frontière de l’Ontario jusqu’à Saguenay. Les installations de stockage et de liquéfaction ainsi que le gazoduc nécessiteraient des investissements de 14 milliards.