Votre facture de téléphonie sans fil diminuera-t-elle si on force le « Big 3 » des télécommunications à partager ses réseaux sans fil ?

Pour hausser la concurrence et diminuer les prix des forfaits sans fil, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) propose de forcer le « Big 3 » (Bell, Rogers, Telus) et les autres propriétaires de réseaux sans fil (ex. : Québecor) à ouvrir leurs réseaux à de nouveaux concurrents pour quelques années.

Actuellement, les propriétaires ne sont pas obligés de donner accès à leurs réseaux sans fil à des concurrents. En les forçant à partager, de nouveaux concurrents pourraient émerger. Dans le jargon, on appelle ces nouveaux concurrents, qui n’ont pas leurs propres réseaux, des « exploitants de réseaux mobiles virtuels » (ou « ERMV »).

Pendant deux semaines, le CRTC tient des audiences publiques sur l’état des services en téléphonie sans fil. C’est là que sa proposition « préliminaire » de donner l’accès aux réseaux à tous sera débattue avant que l’organisme réglementaire ne prenne une décision.

Les grands propriétaires de réseaux (Bell, Rogers, Telus, Québecor au Québec) ne sont pas d’accord avec la proposition « préliminaire » du CRTC. Ils ne veulent pas être forcés de partager leurs réseaux. Ils ont obtenu un appui inattendu, celui du Bureau de la concurrence du Canada.

Comme le CRTC, le Bureau de la concurrence estime qu’il y a un « problème de concurrence » dans le sans-fil : le « Big 3 » détient 89 % des clients au pays. Sauf que l’arrivée de nouveaux concurrents qui n’ont pas leurs propres réseaux sans fil n’est pas une solution efficace, estime le Bureau. Celui-ci propose plutôt de forcer le « Big 3 » à partager son réseau (moyennant des frais raisonnables) avec les entreprises de télécoms qui ont aussi leurs réseaux. Une telle politique pourrait inciter les acteurs régionaux comme Québecor à élargir leurs réseaux et améliorer la concurrence.

Moins cher au Québec en raison de Québecor

L’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), qui représente la plupart des entreprises de télécoms, dont Bell, Rogers, Telus et Vidéotron, estime que c’est la concurrence des acteurs régionaux qui continuera à faire diminuer les prix.

Avoir une entreprise régionale qui agit comme un quatrième concurrent (en plus du « Big 3 ») permet-il de faire baisser les prix ? C’est le cas au Québec, où Québecor (Vidéotron) offre la téléphonie sans fil depuis 2010. Québecor a aujourd’hui 1,3 million de clients sans fil, soit environ 15 % du marché du Québec. Et les Québécois sont ceux qui profitent des prix les plus bas au pays, 23 % moins élevés que la moyenne canadienne.

Selon Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal, la présence d’un quatrième opérateur de télécoms dans un même marché (ex. : Québecor au Québec après le « Big 3 ») est généralement le meilleur moyen pour diminuer les prix en téléphonie sans fil. « Un marché avec trois opérateurs qui ont leurs propres réseaux est un marché un peu ronflant. C’est généralement le quatrième opérateur qui est le plus agressif sur les prix », dit M. Larouche.

Les prix pourraient être encore plus bas au Québec avec un meilleur accès pour les ERMV.

John Lawford, directeur du Centre pour la défense de l’intérêt public (PIAC)

L’organisme de défense des consommateurs aimerait aussi que le CRTC force les entreprises de télécoms à offrir un forfait de base (téléphone et textos illimités, 4 Go de données) à 30 $ par mois pour les personnes à faible revenu et les aînés.

L’industrie demande le statu quo

L’ACTS, Bell, Rogers, Telus et Québecor ne veulent pas d’une nouvelle réglementation les forçant à partager leurs réseaux sans fil avec des concurrents qui n’en ont pas. L’ACTS estime que l’industrie est concurrentielle.

« Les prix diminuent, le Canada a le deuxième réseau sans fil le plus rapide au monde, et nous avons un large pays à couvrir. Nous ne voyons pas de raison pour amener des ERMV. Actuellement, il n’y a qu’un seul pays, la Norvège, où l’accès aux réseaux est ouvert à tous, et c’est parce qu’il n’y a que deux entreprises de télécoms importantes en Norvège. Et au Canada, les “marques à rabais” [ex. : Fizz chez Vidéotron, Virgin Mobile chez Bell] jouent essentiellement le rôle des ERMV », dit Eric Smith, vice-président principal de l’ACTS.

Le Bureau de la concurrence n’est pas d’accord : les consommateurs ont peut-être beaucoup d’options, mais il manque de concurrence dans cette industrie « très concentrée » et « très rentable ».

La marge du profit du « Big 3 » en téléphonie portable varie entre 42 % et 45 % (en comptant leurs investissements dans les réseaux, la marge de profit est d’environ 35 %).

Le CRTC ne croit pas non plus à l’argument des prix qui diminuent. Oui, en théorie, les prix pour un même forfait diminuent depuis quelques années. Mais les prix diminuent moins vite que dans d’autres pays, a rappelé mardi le président du CRTC, Ian Scott. Le Canada est au deuxième rang des pays du G7 où les prix sont les plus chers, après le Japon.

Et la facture des Canadiens augmente d’année en année, car ils augmentent la taille de leur forfait sans fil. Résultat : le prix moyen de la facture de téléphonie sans fil des ménages a progressé de 7 % par an au Québec entre 2013 et 2017, pour atteindre une moyenne de 86,39 $ par mois par ménage.

Bell, Rogers, Telus et l’ACTS font aussi valoir que l’obligation de partager leurs réseaux avec de nouveaux concurrents ralentira leurs investissements dans leurs réseaux à l’approche du lancement des réseaux 5G, prévu pour plus tard en 2020.