Les temps sont durs pour la transparence financière et la démocratie actionnariale.

Mardi matin, les journalistes ont été refoulés à la porte de l’assemblée extraordinaire visant une restructuration majeure de Power Corporation. Ce n’est pas la première fois que cela se produit au Québec. L’été dernier, par exemple, le système de fidélisation Aimia avait interdit aux journalistes d’assister à son assemblée extraordinaire particulièrement houleuse.

Et en 2016, le Groupe BMTC, la société mère de Brault & Martineau, avait aussi interdit l’accès à son assemblée aux journalistes, alors que des employés en lock-out manifestaient devant l’édifice.

Quand ça va bien, les entreprises se fendent en quatre pour que les médias parlent de leurs bons coups, mais elles ferment leurs micros quand ça tourne au vinaigre. Elles laissent les journalistes faire le pied de grue à l’extérieur quand ça barde à l’assemblée annuelle.

On l’a vu aussi ailleurs dans le monde…

En 2018, par exemple, Ryanair a interdit aux journalistes d’assister à son assemblée annuelle. Le transporteur européen à bas coût venait de traverser une année pénible.

Et le géant américain McDonald’s a aussi banni les journalistes de son assemblée alors que des employés manifestaient, en 2015, pour obtenir un salaire leur permettant de sortir de la pauvreté.

Même les coopératives ne sont pas en reste.

Ce mercredi même, les journalistes ne pourront pas assister à l’assemblée annuelle de la coopérative Agropur, qui file un mauvais coton. Et lors des assemblées annuelles du Mouvement Desjardins, les représentants des médias peuvent uniquement écouter le discours du président, sans avoir accès au reste des débats. Pour l’institution financière, il s’agit d’un événement privé où les délégués doivent être à l’aise de discuter d’enjeux stratégiques à l’abri des oreilles des concurrents.

***

Bon, je comprends que rien ne force les entreprises à ouvrir leurs portes aux médias. Aucun règlement ne les oblige à accepter dans leurs assemblées d’autres personnes que les actionnaires ou les membres qui y sont convoqués.

Mais pour des sociétés ouvertes qui sont inscrites à la Bourse, ce manque de transparence est quand même regrettable.

Cela va complètement à l’encontre de la tendance mondiale vers l’investissement responsable qui exige que les entreprises respectent des critères environnementaux, sociaux et de saine gouvernance (ESG).

Que les journalistes ne puissent pas intervenir lors des assemblées annuelles est tout à fait compréhensible. L’événement est organisé pour que les actionnaires puissent aller au micro et s’exprimer.

De toute façon, les journalistes peuvent poser leurs questions lors de la conférence de presse qui est généralement organisée à la fin de l’assemblée… quoique certaines sociétés laissent parfois tomber cet exercice, comme l’épicier Metro récemment.

Mais en empêchant carrément les journalistes d’assister à leur assemblée, ce sont leurs propres petits actionnaires que les entreprises cherchent à museler. Ceux qui vont au micro pour poser une question délicate ou pour exprimer leur mécontentement. Ceux qui font des propositions d’actionnaires minoritaires qui contrarient la haute direction.

Si l’assemblée se déroule à huis clos, les journalistes ne peuvent pas être leurs porte-voix auprès du grand public et des autres actionnaires de l’entreprise qui n’ont pas pu se rendre à l’assemblée. Ils comptent sur les médias pour être bien informés.

« C’est déplorable. C’est un manque de responsabilité sociale », lance Willie Gagnon, directeur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), qui a justement fait une intervention lors de l’assemblée de la Corporation Financière Power mardi.

Il constate que les entreprises cherchent à contrôler le message qui émane de leur assemblée. « C’est fréquent que des restrictions soient imposées aux gens qui rentrent dans les assemblées. Les actionnaires n’ont pas le droit d’enregistrer. C’est précisé sur un document », indique-t-il.

Il a même déjà constaté qu’une entreprise diffusant son assemblée annuelle sur le web avait coupé le signal lorsque le MEDAC prenait la parole. Franchement !

Quand les entreprises se ferment comme des huîtres, le public se demande ce qu’elles ont à cacher. Cette attitude suscite encore plus d’incertitudes et de questionnements. Elle donne l’impression que la direction n’a pas assez d’aplomb pour faire face aux situations plus corsées.

La transparence est plus payante.