Connaissez-vous Isabelle Côté ? Brigitte Jalbert ? Julie Roy ? Madeleine Paquin ? Sylvie Myre ? Brigitte Lemonde ? Caroline Dallaire ? Geneviève Tardif ?

Leurs noms sont tous dans le nouveau palmarès des entreprises dirigées par des femmes du magazine Premières en affaires. La liste, qui sera publiée mardi et dont on a obtenu une copie en primeur, montre que ces personnes ont toutes un point en commun avec Christiane Germain, que l’on connaît beaucoup plus : elles dirigent toutes des entreprises québécoises dont le chiffre d’affaires est de plus de 50 millions.

Et que font-elles ? De la construction, du transport de marchandises, de l’entretien industriel, de l’emballage. Elles jouent autant dans le pétrole et le PVC que la télévision, l’hôtellerie ou les voyages au rabais.

Et elles font éclater les stétérotypes.

Et elles ne sont pas toutes à Montréal. (Seulement 29 % des sièges sociaux de leurs entreprises.)

Et elles ne sont pas toutes dans des secteurs associés aux intérêts dits féminins, selon des conceptions éculées du concept. (21 % sont dans le secteur manufacturier.)

Et ce ne sont pas exactement des travailleuses autonomes qui se sont lancées en affaires pour avoir de la flexibilité et s’occuper de leur famille… (69 % font affaire dans tout le Canada.)

Même Marie Grégoire, éditrice de Premières en affaires, qui a fait un partenariat avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, Inno-centre, l’École de gestion John-Molson, Léger et le Réseau des femmes d’affaires du Québec, pour bâtir le palmarès des 75 plus importantes entreprises québécoises dirigées par des femmes, a appris des choses qu’elle ne savait pas en compilant la liste. Que Voyages à Rabais, par exemple, en affaires depuis 2000, avec environ 100 employés, était dirigée par Sylvie Myre en Mauricie. Ou que Pneus Ratté, de Québec, était dirigée par Charlyne Ratté.

Plusieurs fois, l’éditrice s’est dit « ben coudonc ! », raconte Marie Grégoire. 

Elle venait d’apprendre quelque chose de neuf.

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Ce palmarès, explique Marie Grégoire, est né de la volonté de montrer une réalité qui est là, mais qu’on ne voit pas : la place que prennent vraiment les femmes, un peu partout dans le monde de la direction des entreprises, à l’extérieur des chemins tracés par nos habitudes, nos préjugés et nos grilles d’analyse traditionnelles.

Donc, pour montrer cela, il a fallu aller chercher ailleurs que dans les compilations habituelles.

PHOTO DYLAN MARTINEZ, ARCHIVES REUTERS

Le magazine Premières en affaires a notamment fait un palmarès des entreprises québécoises dont le chiffre d’affaires est de plus de 50 millions et qui sont dirigées par des femmes.

« Le dernier classement des “300 PME les plus importantes du Québec”, publié à l’automne 2019 dans le journal Les Affaires, comptait seulement 8 % d’organisations détenues ou dirigées par des femmes », rappelle Deborah Levy, rédactrice en chef de Premières en affaires, dans l’éditorial qui lance le dossier. « On sait aussi, d’après une étude récente menée par le cabinet d’avocats Osler, que moins de 4 % des entreprises canadiennes cotées en Bourse sont dirigées par des femmes. »

Donc, il fallait chercher autrement. C’est là que Léger ainsi que la Caisse et le Réseau des femmes d’affaires ont commencé à aider, avec leurs bases de données et leurs méthodes de recherche.

Objectif : trouver les entreprises que l’on connaît, mais aussi que l’on ne connaît pas ou dont on ne soupçonne pas qu’elles sont dirigées par des femmes et cruciales dans leur créneau.

C’est ainsi qu’est née cette liste où les entreprises sont classées en cinq grandes catégories. Celles dont le chiffre d’affaires est de plus de 50 millions. Les grandes dont j’ai nommé les dirigeantes plus haut : Emballages Carrousel, Coffrages Synergy, Roy, Logistec, Le Groupe Germain, etc. Il y en a neuf. Puis on liste les « moyennes. Il y en a 28, comme Fumoir Grizzli, Air Medic ou Groupe Cambli, par exemple. Elles ont entre 10 et 50 millions de chiffre d’affaires. Puis il y a les « forces vives » comme Delegatus ou Cordé Électrique avec 5 à 10 millions de chiffre d’affaires, pour terminer avec les étoiles montantes (de 1 à 5 millions), comme Cassis Monna & Filles, The Unscented Company ou La Fourmi Bionique, et les « jeunes pousses » de 250 000 $ à 1 million, comme Appareil Architecture ou Transformation des Métaux du Nord.

Je vous le dis tout de suite, il en manque. En lisant la liste, je me suis immédiatement demandé : où sont Cycle Capital, fondée et dirigée par André-Lise Méthot, Casacom, fondée et dirigée par Marie-Josée Gagnon, ou Polystyvert, fondée et dirigée par Solenne Brouard Gaillot ? 

Et que fait-on des femmes qui ont cofondé et codirigent des sociétés, comme Christine Lamarche, qui pilote le groupe Toqué ! et son expansion, ou encore Lauren Rathmell, cofondatrice et directrice des serres des Fermes Lufa ?

« Il fallait ouvrir le chemin », explique Marie Grégoire, qui sait très bien que son palmarès est loin d’être exhaustif. « Et on veut que, pour le prochain, les femmes se manifestent. »

Si une femme qui dirige une entreprise n’est pas là et estime qu’elle devrait y être, qu’elle le fasse savoir. Premières en affaires attend cette information.

L’équipe souhaite que sa publication soit annuelle et enrichie de l’apport de tous et, surtout, de toutes. Pour qu’on sache mieux où sont les femmes. Et ce qu’elles font.

Et pour que les jeunes aient un meilleur portrait de la situation. Qu’elles sachent qu’en génie autant qu’en alimentation, les femmes ont leur place partout. Et pour que plus personne n’ait d’excuse quand vient le temps d’organiser des publications collectives, des colloques, des compilations, des émissions, tout événement célébrant l’entrepreneuriat ou la haute gestion ou le développement économique, en tentant de justifier un manque de diversité par l’absence de ressources disponibles. On sait tous que cette excuse ne tient plus en 2020. Quand on cherche des femmes, on en trouve.