Après avoir lu bien des trucs sur ce qui arrivera en 2020, voici notre série de cinq idées – radicale aux yeux de certains – qui ne se concrétiseront pas… du moins, pas cette année. Mais il peut être bon d’en débattre.

L’idée

Que serait le Québec si l’âge de la retraite était de 70 ans ? Qu’au lieu de cibler 65 ans pour les régimes de retraite de la fonction publique et des entreprises privées, la formule comptait cinq ans de plus ? Que les rentes des gouvernements du Québec et du Canada étaient repoussées ? Que les Québécois décidaient finalement de contribuer plus longtemps à la société ?

La situation actuelle

L’âge cible de la retraite est actuellement de 65 ans. La réalité, c’est que 42 % des Québécois prennent leur retraite avant 60 ans, parce qu’ils ont accumulé assez d’argent ou qu’ils ont un généreux fonds de pension à prestations déterminées. La rente maximale du Québec (RRQ) est offerte à 65 ans, mais elle peut être versée avec pénalités dès 60 ans et avec bonus à 70 ans. Pour ce qui est de la pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), elle est versée dès 65 ans, mais peut aussi être reportée avec bonus jusqu’à 70 ans.

Le débat

D’emblée, le concept peut faire grincer des dents. Stephen Harper avait haussé l’âge de la retraite à 67 ans, mais Justin Trudeau l’a remis à 65 ans. Si, au départ, notre idée nous semblait saugrenue, du moins à court terme, les cinq spécialistes que La Presse a consultés ont tous abondé dans l’autre sens : implantée graduellement, la retraite à 70 ans est une idée logique et souhaitable. D’aucuns n’y voient pas d’impact vraiment négatif si l’organisation de notre société est bien orchestrée.

Équilibre entre la dépendance et le travail

Le tout premier régime universel de pension de vieillesse pour les Canadiens a été introduit en 1952. L’âge pour le réclamer était, tenez-vous bien, de 70 ans ! On a abaissé ce seuil en 1966.

D’ailleurs, quand la retraite a été établie à 65 ans en 1966, l’espérance de vie était de 68 ans chez les hommes et de 75 ans chez les femmes. Depuis, elle a augmenté respectivement de 12 et 9 ans.

Sans oublier les jeunes qui étudient plus longtemps et commencent leur carrière plus tard.

« Avant, il y avait un équilibre entre les périodes où l’on est dépendant, soit l’enfance et la retraite, et celle où l’on travaille, où l’on produit, affirme Mario Lavallée, professeur de finance à l’Université de Sherbrooke et spécialiste de la gestion des caisses de retraite. Maintenant, la période de dépendance s’est allongée et ça met de la pression sur la société. Avec la retraite à 70 ans, on reviendrait à un équilibre. »

Aucun changement

Repousser les rentes des deux gouvernements n’aurait aucun effet sur les Québécois qui ont accumulé assez d’argent, soutient l’économiste Alexis Gagné, doctorant en sciences humaines appliquées en éducation à l’Université de Montréal. « Ils vont cesser de travailler quand ils en auront envie », dit-il.

Les Québécois pourront décaisser leurs économies personnelles, comme les REER et les CELI, et vivre par la suite avec les rentes indexées des gouvernements. « Lorsqu’on avance en âge, avoir une rente, c’est plus facile à gérer. On a de l’argent qui entre chaque semaine », constate la planificatrice financière et diplômée en actuariat Mélanie Beauvais.

Aucun changement non plus pour ceux qui perdent leur emploi à 57 ans et qui n’en retrouvent pas. Or, il faudra leur trouver un revenu s’ils ne peuvent pas toucher de pension avant 70 ans. « L’aide sociale, c’est seulement 600 $ par mois », rappelle Alexis Gagné.

Réorganisation du travail

Nos experts ont imaginé les impacts sur l’organisation du travail : postes partagés, semaines de trois jours et retraite progressive. « Il va falloir changer la culture du travail et accepter des choses qu’on n’acceptait pas, affirme sans détour Mario Lavallée, de l’Université de Sherbrooke. Il faudra accepter d’avoir une dernière carrière qui n’est pas celle qu’on a faite toute sa vie. Faire une migration vers 50, 55 ans pour un arrêt complet à 70 ans, voire à 75 ans. »

D’emblée, les experts ont cité les ambulanciers, travailleurs de la construction, infirmières, enseignants, pompiers et policiers, qui devront avoir deux carrières.

Plutôt que de donner des incitatifs fiscaux à rester chez soi, comme c’est le cas actuellement dans la fonction publique, le gouvernement devra plutôt en donner pour rester en emploi, croit le président désigné de l’Institut canadien des actuaires, Michel St-Germain. « Le gouvernement pourra donner l’exemple et conserver ses employés âgés avec plus de flexibilité dans l’horaire de travail et des postes avec moins de responsabilités. »

Ainsi, les entreprises resteront productives. Elles auront une solution à la pénurie de main-d’œuvre en misant sur des employés d’expérience à qui elles donneront des formations continues.

Augmentation du revenu

En retirant leurs économies et leurs rentes plus tard, les Québécois auront besoin de moins d’argent, évalue le président de l’Institut canadien des actuaires. Selon ses calculs, les rentes seraient bonifiées de 15 % par année.

L’économiste Alexis Gagné estime aussi que les cotisations appliquées directement sur les revenus de travail n’augmenteraient plus et pourraient même baisser.

Reporter sa retraite de 3 à 6 mois équivaut à épargner 1 % de plus de son revenu pendant 30 ans, note la planificatrice financière et gestionnaire de portefeuille Hélène Gagné, qui cite une étude du National Bureau of Economic Research (États-Unis).

« On voit de plus en plus de retraités qui ont des dettes, observe-t-elle. Plus la retraite est longue, plus on s’expose aussi à subir un choc financier comme un parent ou un conjoint qui a besoin de soins de longue durée, un enfant malade ou un divorce. »

Rester actif et éviter l’isolement

Au-delà d’une économie plus forte, des régimes de retraite moins généreux et des intérêts faméliques, il ne faut pas négliger l’impact psychologique. Pensez à tous ces Québécois qui se définissent par leur travail et dont le seul réseau social est constitué de leurs collègues. « C’est difficile de passer du jour au lendemain d’un emploi exigeant aux deux pieds sur le pouf, illustre Hélène Gagné. Et il y a beaucoup de gens qui disent souffrir d’isolement à la retraite. »

Décès

Tous les spécialistes s’entendent pour dire que le principal impact négatif serait d’avoir contribué toute sa vie et de mourir trop tôt pour en profiter. « Si une personne dans notre entourage décède dans la cinquantaine, certains vont avoir la réaction de dire : “Je vais arrêter de travailler plus tôt pour en profiter avant de mourir”, observe Hélène Gagné. Mais, statistiquement, c’est une minorité de gens qui meurent dans la cinquantaine et même dans la soixantaine. Vivre une telle situation affecte notre réflexion. C’est là qu’il faut prendre un pas de recul. »

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