Est-ce que le chef de la direction d’une des plus importantes entreprises agroalimentaires canadiennes a le droit de prendre la parole un dimanche soir pour dire qu’il en a marre de Donald Trump ?

Est-ce que le chef de la direction d’une des plus importantes entreprises agroalimentaires canadiennes a le droit de prendre la parole un dimanche soir pour dire qu’il en a marre de Donald Trump ?

Si ça ne sert pas à ça d’avoir du pouvoir, beaucoup de pouvoir, peut-être pas politique, mais économique, ça sert à quoi ?

On a beaucoup parlé depuis dimanche soir de la décision de Michael McCain, PDG de Maple Leaf Foods, le géant canadien de la viande froide et transformée, d’utiliser Twitter, le moyen de communication préféré du président américain, pour déplorer de façon virulente la décision de celui-ci d’amorcer une confrontation avec l’Iran. McCain a été touché par cette escalade tragique parce qu’un de ses collègues, à cette entreprise dont le siège social est à Mississauga, en Ontario, a perdu sa femme et son fils dans l’écrasement du vol d’Ukraine International Airlines. L’avion a été abattu le 8 janvier par un missile iranien, quelques jours après l’assassinat d’un haut gradé militaire iranien par les Américains.

PHOTO MIKE CASSESE, ARCHIVES REUTERS

On a beaucoup parlé depuis dimanche soir de la décision de Michael McCain, PDG de Maple Leaf Foods, le géant canadien de la viande froide et transformée, d’utiliser Twitter, le moyen de communication préféré du président américain, pour déplorer de façon virulente la décision de celui-ci d’amorcer une confrontation avec l’Iran.

Exaspéré, mais après avoir longuement pesé chaque mot de ses messages – si on se fie à ce qui a été transmis aux médias par le service des relations publiques de l’entreprise canadienne, qui a en outre confirmé que c’était bien le PDG de la société qui avait écrit tout ça –, McCain a pris position.

« Un narcissique à Washington a défait ce que le monde avait réussi à accomplir, a déstabilisé la région… », a-t-il écrit, dans le cadre d’une série de quatre tweets.

« Le dommage collatéral de ce comportement irresponsable, dangereux, mal pensé ? [57] Canadiens sont morts inutilement dans ce feu croisé, dont la famille d’un de mes collègues [de Maple Leaf Foods]. Sa femme et son fils de 11 ans ! Nous sommes en deuil et je suis furieux. »

Il n’est vraiment pas fréquent qu’un chef d’entreprise, qui fait affaire dans le pays dont il critique le président, s’exprime publiquement de telle façon.

Plusieurs experts en marketing et en relations publiques ont donc été consultés par différents médias depuis dimanche soir, tout le monde posant la même question : pourquoi faire de telles déclarations et quels sont les risques ou avantages associés à une prise de position de cette nature ?

Après tout, Maple Leaf Foods n’est pas exactement la petite société privée d’un seul homme. Elle est cotée en Bourse, elle compte 12 500 employés et fait affaire au Canada, mais aussi aux États-Unis, où l’entreprise vend ses produits sous différentes marques et a consolidé récemment ses activités du côté des protéines végétales. Ce marché fait de plus en plus concurrence aux viandes froides, et c’est de ce côté-là de la frontière, en Indiana, que l’entreprise ontarienne a choisi d’investir, en 2019, en achetant une usine de 319 millions pour développer ses produits à base de plantes. Donc, il y a des enjeux américains importants.

La question a été posée à plusieurs observateurs par différents médias et à peu près partout, j’ai lu la même chose. Geste rarissime. Probablement très personnel. Pour une raison quelconque, l’homme d’affaires a été particulièrement touché par le deuil de ce collègue.

A-t-il pris un risque pour l’entreprise ? Oui, si les clients américains n’apprécient pas qu’un fournisseur fasse ainsi des commentaires politiques non sollicités. Mais possibilité de retombées positives aussi, si des clients sont d’accord avec lui… Dans tous les cas, on ne s’attend pas à ce que quoi que ce soit colle aux marques de Maple Leaf. (À noter, la Bourse n’a pas réagi de façon significative.)

***

Mais ce dont on a très peu parlé à travers ces analyses et observations depuis dimanche soir, c’est du sens des messages de l’homme d’affaires canadien.

Qu’a-t-il dit au juste ?

Ce que j’ai lu sur Twitter, c’est qu’il a enfin mis en phrases courtes et efficaces ce que bien des Canadiens, et probablement bien des gens dans le monde entier, ne disent pas assez souvent.

Il a dit quelque chose comme : « Ça fera. Ce clown met notre vie à tous en danger. Et là, on a vu les conséquences réelles de son irresponsabilité : la mort d’innocents. »

Or, si un homme riche et puissant, à la direction d’une immense entreprise comme Maple Leaf Foods, n’a pas la force, la solidité de dire cela haut et fort sur la scène publique, qui l’aura ?

Ce que les tweets de l’homme d’affaires canadien disent, ce n’est pas compliqué : c’est que le « bullying » du président américain doit cesser.

Les intimidateurs doivent être exposés.

Trump l’est souvent sur la scène politique. Dans les médias. Mais dans le monde des affaires, les dirigeants marchent trop souvent sur des œufs. Ou attendent d’être en groupe pour parler. Comme s’ils avaient toujours peur, justement, que leurs affaires, leurs profits soient touchés.

Or, McCain semble avoir décidé, lui, que parfois il faut s’élever au-dessus des risques pour l’entreprise et faire ce qui est juste.

Je suis certaine que bien des gens trouveront des raisons de marketing ou des ambitions politiques peut-être à Michael McCain.

Mais peut-être aussi que cet homme d’affaires à la tête d’une immense entreprise a décidé de prendre le pouvoir que la réalité de notre monde industrialisé lui donne pour dire tout haut ce que trop d’autres gens riches et puissants, sensés et responsables, auraient dû faire, sans lâcher, sans avoir peur, depuis longtemps.