Curieux endroit : le but de hockey était déposé dans un corridor du Palais des congrès de Montréal, à la mi-novembre.

Avec son filet et son solide cadre rouge, il ressemblait en tous points à un but standard.

À la différence que le but en question est automobile et télécommandé, a expliqué le propriétaire de Phaneuf International, Alain Phaneuf.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le but de hockey à déplacement télécommandé

En effet, derrière les deux poteaux et à l’arrière du but, des compartiments triangulaires cachaient les dispositifs mécaniques et électroniques qui lui permettent de s’extraire de ses marques d’amarrage et de rouler jusqu’au centre de la glace. Après le passage de la surfaceuse, le but retourne à sa position.

L’invention était nommée au gala de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ), d’où sa présence au Palais.

Mais ce but n’était pas le but premier d’Alain Phaneuf.

C’est un accessoire qui s’est ajouté, par la force des circonstances, à son objectif initial : fabriquer une surfaceuse entièrement autonome, plus efficace et plus écologique.

Elle est en cours de fabrication.

Une surprenante histoire…

Sous la surface

Jusqu’à sa retraite, à l’été 2017, Alain Phaneuf était policier. Il est maintenant entrepreneur. Il a fondé Phaneuf International au début de 2017.

Père de deux enfants qui « gagnent leur vie sur des patins », il caressait « le rêve de moderniser les arénas, en commençant par leur fournir une surfaceuse qui n’aurait plus besoin de personnel ».

Les recherches de M. Phaneuf – et sa longue fréquentation des arénas – lui ont appris que les municipalités québécoises peinent souvent à trouver des opérateurs de surfaceuse, que la qualité de la glace est aléatoire et que son entretien est onéreux. « Ça coûte en moyenne entre 55 $ et 75 $ toutes les fois qu’on fait la glace », précise-t-il.

C’est pour répondre à ces défis qu’il est entré en contact avec le consultant Pierre Beaudet, qui cherchait déjà une manière moins intuitive d’entretenir les patinoires, comme l’indique le nom de sa firme : Science de la glace.

« On ne connaissait pas les caractéristiques d’une belle glace, à part sa température et sa dureté qui, elle, n’était pas mesurable », observe celui-ci, dans les bureaux du fabricant d’appareils de nettoyage urbain Madvac/Exprolink, qui complète ce triumvirat.

Partout en Amérique, l’épaisseur de la glace est pour l’instant mesurée grâce à cet ingénieux dispositif : une perceuse et un clou plongé dans le trou.

La dureté de la glace est estimée par les patineurs eux-mêmes selon trois appréciations : trop molle, trop dure, pas pire.

« Dans la Ligue nationale de hockey, pour évaluer la qualité de la glace, c’est un sondage SurveyMonkey qui est envoyé aux joueurs », souligne Alain Phaneuf.

Phaneuf International propose plutôt « un protocole de glace » et un système électronique qui pose un diagnostic de la patinoire.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR A3D INNOVATION

La surfaceuse autonome de Phaneuf International circulera dans le sens de sa longueur, mais travaillera la glace sur l’autre sens, pour maximiser la surface traitée en un passage.

Ce dispositif, qui sera installé sur la surfaceuse, « photocopie » la glace en divers points pour mesurer son épaisseur, sa densité, sa dureté, son taux d’humidité et sa température.

« À la fin d’une partie de hockey, je vais être capable de savoir par exemple combien il y a eu d’usure dans une zone de but », illustre Pierre Beaudet.

Les données sont enregistrées et à la fin de la journée, la surfaceuse sait quel exercice elle doit faire pour ramener la glace à niveau, selon les besoins du client.

Pierre Beaudet, consultant

La surfaceuse, mue à l’électricité et entièrement autonome, pourra faire son travail sans opérateur.

Alain Phaneuf et Pierre Beaudet n’aiment pas le mot surfaceuse, d’ailleurs, qui décrit mal le travail en profondeur de leur engin, qui « régénère » la glace en comblant ses microfissures plutôt que simplement la lisser en surface, à l’aide d’un procédé qui demeure secret.

Oui, mais les buts ?

Lorsque MM. Phaneuf et Beaudet ont présenté leur concept de surfaceuse autonome en 2018 à l’Union des municipalités du Québec et à l’Association québécoise des arénas et des installations récréatives et sportives (AQAIRS), la question de la mobilité des buts a été soulevée.

« Des grands joueurs de l’industrie comme la Ville de Montréal nous ont dit qu’ils avaient de réels enjeux de santé et sécurité au travail », souligne Alain Phaneuf.

Son entreprise s’est alors consacrée à la mise au point d’un but de hockey motorisé.

Pour l’instant, le prototype se commande avec une manette de jeu vidéo, mais l’objectif est de le rendre parfaitement autonome lui aussi.

« Notre client principal, la Ville de Montréal, en veut 40 paires, mais conditionnellement à ce que la démonstration en milieu réel se passe selon les objectifs fixés », indique l’entrepreneur.

Pour son but et sa surfaceuse, il vise le tour du chapeau : la LNH, les Jeux olympiques de 2026 et le marché international.

La surfaceuse de Phaneuf

• Il faut 450 litres d’eau potable chaque fois qu’une surfaceuse traditionnelle refait la glace. Plutôt que jeter la neige recueillie en surface, la surfaceuse Phaneuf la fait fondre, la filtre et la traite aux ultraviolets pour la réutiliser au passage suivant.

• Munie de quatre roues directionnelles, la surfaceuse circulera dans le sens longitudinal habituel pour se rendre sur la patinoire, mais elle travaillera la glace en se déplaçant transversalement – comme une brosse –, pour limiter les passages.

• La carrosserie sera flanquée d’un écran à DEL de 6 pi sur 12 pi, sur lequel de la publicité pourra être affichée.

• L’entreprise collabore avec les centres collégiaux de transfert de technologie Solutions Novika, pour les dispositifs électroniques et mécaniques, et l’Institut du véhicule innovant de Saint-Jérôme, pour le véhicule lui-même.

• Le design est l’œuvre d’A3D Innovation. En production, la surfaceuse Phaneuf sera assemblée chez Madvac/Exprolink.

• Un prototype sera testé à Sainte-Julie au cours de l’été 2020, puis entreprendra une période d’essai de six mois à Plessisville dès l’automne suivant.