C’est un vendredi 13 dont je me souviendrai longtemps. Le 13 mars 2020. La fameuse journée où nous avons déserté la salle de rédaction pour travailler à domicile.

À La Presse, nous aimons bien les petits paris informels. Alors, la veille, mon collègue André nous avait demandé combien de temps nous pensions devoir rester à la maison. Pouvez-vous croire que j’ai répondu deux semaines ?

Riez de moi tant que vous voulez, mais, à une exception près, tout le monde pensait être de retour en avril ou, au plus tard, en mai. Et, à ma décharge, j’avais lancé une date à la hâte, étourdie par une semaine complètement folle.

Le lundi 9, de retour de la semaine de relâche, j’avais terminé dans le train vers Québec une chronique sur la Bourse qui s’écrasait en accéléré. La chute avait été si violente que les transactions avaient été suspendues, dans une rarissime utilisation d’un mécanisme instauré après un autre lundi noir, celui du krach de 1987.

Le mardi 10, il régnait une atmosphère étrange au Centre des congrès de Québec, où s’entassent chaque année des centaines de journalistes, d’économistes, de fiscalistes et de politiciens pour le dépôt du budget provincial. Les salutations du coude malhabiles avaient remplacé les poignées de main.

On savait tous que cet exercice de prévision budgétaire prendrait le bord avec la COVID-19 et que les chiffres présentés auraient le seul mérite de nous donner un dernier polaroïd de l’état de nos finances publiques avant la pandémie.

Oh, que les temps ont changé depuis ! Les gouvernements sont dans le rouge jusqu’aux oreilles. Ottawa va terminer l’exercice avec un déficit monstre de 343 milliards, 10 fois plus grand que l’année précédente.

Le jeudi 12, la Bourse poursuivait sa dégringolade, avec une perte fracassante de 9,5 %. En l’espace d’un mois, l’indice MSCI de 50 pays à travers la planète aura effacé le tiers de sa valeur, soit 18 000 milliards de dollars.

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Mais les États ont réagi au quart de tour. En vrais pompiers, ils ont aspergé les marchés de liquidités.

Rivée à la télé du salon, j’ai suivi comme tout le monde les annonces de plans d’aide de Québec et d’Ottawa. Chaque jour, de nouvelles mesures, de nouveaux milliards…

« Maman, qui va payer pour tout ça ? me demandait ma fille, incrédule.

— Hum, je pense que ça va être toi, ma puce. »

Durant cette période de confinement, il s’est passé des choses que je ne pensais jamais voir dans ma carrière.

En avril, le prix du pétrole a tourné au négatif, à - 37 $ US le baril, parce qu’il manquait d’espace pour stocker les surplus. C’est comme si on vous payait pour faire le plein de votre voiture !

Dans la catégorie « incroyable mais vrai », le revenu disponible des Canadiens a fait un bond spectaculaire de 11 % au deuxième trimestre, alors que les pertes d’emplois se comptaient par millions. Trouvez l’erreur.

Contre toute attente, le marché immobilier a battu des records. En pleine pandémie, faut le faire ! Le prix d’une maison unifamiliale au Québec a atteint un sommet historique de 295 000 $, soit une augmentation annuelle de 13 %. Home sweet home.

Et la Bourse termine aussi l’année dans l’euphorie, portée par l’espoir des vaccins. À quelques jours de la fin de l’année, l’indice S & P 500 de la Bourse américaine est en hausse de 15 %. Qui aurait imaginé un rebond aussi rapide ?

Le titre d’Apple a plus que doublé, celui de Tesla a été multiplié par sept, celui de Zoom par six… Ah, mais des titres de techno qui s’envolent dans la stratosphère, on a déjà vu ça en 2000.

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Mais ce qui m’a alimentée le plus durant cette année hors du commun, ce sont les questions des lecteurs qui pleuvaient dans ma boîte de courriels comme jamais auparavant.

Combien d’histoires crève-cœur ai-je reçues de la part de passagers qui n’arrivaient pas à récupérer leur argent à la suite de l’annulation de leur vol ? Des centaines ! J’ai rédigé une demi-douzaine de chroniques pour dénoncer les crédits qui ne faisaient pas l’affaire des consommateurs. Il aura fallu huit mois pour que le ministre des Transports demande aux transporteurs de rembourser leurs clients, dans le cadre d’un plan d’aide d’Ottawa qu’on attend toujours.

Combien de questions ai-je reçues de la part de lecteurs qui se demandaient s’ils avaient droit à la kyrielle de mesures annoncées par le gouvernement ? Des tonnes !

Pas facile de s’y retrouver. Les détails arrivaient au compte-gouttes. Les médias ont joué un rôle de service public essentiel pour aider les gens à décortiquer les programmes et à obtenir rapidement l’aide à laquelle ils avaient droit.

Je suis particulièrement heureuse d’avoir pu aider les « handicapés » qui s’ignorent à mettre la main sur une aide de 600 $ d’Ottawa. Ce coup de main spécial était offert à ceux qui touchent déjà des crédits d’impôt pour personne handicapée… que 60 % des personnes visées ne vont pas chercher.

« Votre chronique m’a réveillée. Je n’étais pas au courant pour le 600 $ offert par le gouvernement. J’en ai fait la demande et ils sont retournés 10 ans en arrière dans mes impôts. J’ai ainsi obtenu 17 500 $. Je n’en revenais pas », m’a écrit quelques semaines plus tard Mme Harvey.

(Re)lisez la chronique de Stéphanie Grammond sur le crédit pour personne handicapée

Si vous saviez combien ça me fait plaisir.

Chers lecteurs de La Presse, vos commentaires sont une mine d’or. Mes excuses à tous ceux à qui je n’ai pas pu répondre personnellement, faute de temps. À la veille de ce Nouvel An confiné, je lève mon verre à votre santé !