Ce n’est pas qu’une impression de gens rivés à leur téléviseur ou à leur ordinateur depuis le début de la pandémie ! Les pubs québécoises font un peu plus de place à la diversité. BMO, Sun Life, Brault et Martineau, Fizz, Skip, Héma-Québec, Bell, Desjardins, Nissan, Strom spa nordique, Reitmans, Jean Coutu, le gouvernement du Québec et plusieurs autres présentent des membres issus des communautés noires, asiatiques, arabes et autochtones.

« C’est une excellente chose, lance Sann Sava, vice-présidente et chef de la création de Publicis Montréal. Il y a un éveil collectif. C’est maintenant un automatisme de demander de la diversité en casting. En tant que fille d’immigrants, je suis contente. On s’en va dans la bonne direction. »

« Les évènements des derniers mois, notamment aux États-Unis, ont fait en sorte que les problèmes de manque de diversité ne pouvaient plus être ignorés, ajoute Éric Adechi, vice-président, directeur groupe conseil de Cundari. Des marques, tant locales qu’internationales, ont constaté qu’elles devaient prendre ça en compte. »

L’agent de casting Maxime Giroux parle aussi d’un éveil. Il sent cette ouverture chez tous les types d’annonceurs. « Dans chacun des mandats que je reçois, la diversité est essentielle, remarque-t-il. C’est évident que les morts de George Floyd et Breonna Taylor ont causé une secousse sismique. C’est un juste retour du balancier, car pendant longtemps, ce n’était que blanc. »

PHOTO FOURNIE PAR MAXIME GIROUX CASTING

Maxime Giroux

Les annonceurs réalisent que ce n’est pas parce que tu racontes une histoire avec une famille noire qu’une famille blanche ne pourra pas s’identifier. Si le concept est bon, ça fonctionne.

Maxime Giroux, agent de casting

Ainsi la création publicitaire au Québec se rapproche-t-elle de celle émanant du Canada anglais et des États-Unis, où les messages publicitaires projettent plus de diversité. Il arrive encore régulièrement que les versions francophones et anglophones d’une campagne d’un même annonceur affichent des couleurs différentes…

« La diversité de la société québécoise est différente de celle de Toronto, Boston ou Chicago, note Sébastien Fauré, chef de la direction de l’agence Bleublancrouge. L’endroit où la décision se prend influence la mixité. Aux États-Unis, c’est un fait. Dans le reste du Québec, la mixité est moins présente. »

« Au Canada anglais, ça fait plus longtemps qu’il y a des acteurs issus de la diversité à l’écran, ajoute Maxime Giroux, qui s’implique souvent pour des tournages doubles francophones-anglophones. C’était une demande des clients pour refléter la population. Il y a beaucoup plus d’immigration à Toronto, où bien des pubs sont tournées, qu’au Québec. C’est une ville extrêmement multiculturelle. »

Pas nouveau

Une fois le constat établi, les avis divergent toutefois quant au moment où cette préoccupation est née chez les annonceurs. La conscientisation dépendrait des marques, de leur poids, de leur culture d’entreprise et des attentes de leur clientèle. « Un client comme BMO a cette préoccupation depuis bien avant le confinement, affirme Geneviève Cabana-Proulx, présidente et productrice exécutive de la maison de production Soma Pub. Dans tous nos castings, c’est ouvert à la diversité au sens large, poids, couleur, orientation sexuelle… BMO demande aussi qu’il y ait 50 % de femmes sur le plateau de tournage. »

Il y a deux ans, BMO a présenté un couple d’amoureuses dans une pub. « La pandémie a mis davantage de lumière sur la diversité, admet Mélanie Miron, directrice principale, marque, Québec de BMO Groupe financier. Comme on en parle beaucoup, on la voit davantage. Les marques veulent se rapprocher de la population, des clients et de leurs préoccupations. Mais la pandémie n’est pas l’élément déclencheur pour nous. Nous sommes dans la continuité. »

La préoccupation des grands annonceurs de représenter le vrai monde existe depuis 15 ans. Mais présentement, il y a un effort pour être intouchable et irréprochable.

Sébastien Fauré

« Les marques ne veulent pas se faire accuser d’insensibilité. Tout le monde pense à ça présentement, ajoute M. Fauré. Ça peut donner un univers qui n’est pas réaliste. Le balancier va revenir dans les prochains mois. »

Les créatifs en agence de publicité auraient aussi la diversité dans leur ligne de mire depuis belle lurette, remarque Sann Sava. « Ce qui change est qu’on n’a plus à convaincre les clients, note-t-elle. Il y a un parallèle à faire avec les réalisatrices. Avant, les clients choisissaient moins les femmes. »

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Sann Sava, vice-présidente et chef de la création de Publicis Montréal

« Les gens en communications sont des éponges aux contextes socioculturels et aux tendances, poursuit Florence Girod, chef de la culture et du produit intégré de Cossette. Comme agence, on a la responsabilité de représenter la société et de la faire progresser. On se sent investis depuis longtemps. »

Au-delà des pubs

Pour aspirer à une vitesse de croisière plus qu’une mode passagère, la diversité ne doit pas être associée uniquement à la création publicitaire, mais à la force même de travail au sein des agences. L’Association des agences de communication créative (A2C) a d’ailleurs déposé un plan sur la diversité et l’inclusion lors de sa dernière assemblée annuelle, en novembre.

« Différentes actions ont été prises, comme de la formation aux dirigeants, explique Dominique Villeneuve, directrice générale de l’A2C. C’est un travail de longue haleine. On veut être inclusifs dans tous les sens du terme. Il y a sans contredit une sensibilité beaucoup plus grande depuis les évènements de l’été dernier. Mais des réflexes doivent être repensés et travaillés. Quand ton équipe est diversifiée, tu ne te poses même pas de telles questions. »

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Éric Adechi, vice-président, directeur groupe conseil de Cundari

En pub, l’intention est bonne. Mais la diversité n’est pas quelque chose qu’on coche. Elle s’inscrit dans l’ADN de l’entreprise.

Éric Adechi, vice-président, directeur groupe conseil de Cundari

« Certains acteurs ont décidé de tirer profit de la couverture médiatique. Mais les consommateurs ne sont pas bêtes, estime M. Adechi. Ils demandent : “Que faites-vous au-delà de votre pub ?” »

Sur le plan artistique, notamment, une percée des inscriptions dans les écoles de théâtre donne un espoir de pérennité : trois élèves sur neuf sont issus de la diversité dans la récente cohorte de l’École nationale de théâtre. Mais la patience est encore de mise. « Les choses ne se font pas en trois mois, admet Éric Adechi. Il faut vraiment que ça s’inscrive dans une stratégie pérenne. Je remarque tout de même qu’il y a plus d’insistance dans les descriptions d’emploi pour attirer des gens issus de la diversité. »

« La prochaine génération de créatifs est née dans un monde où la couleur de la peau n’est pas un facteur, estime Sébastien Fauré. Pour l’instant, on en fait une préoccupation, car ce n’est pas inné. »