Tout juste âgée de 30 ans… Sa première entreprise… Dans l’univers de l’objet promotionnel… Tout pour être secouée par la pandémie. Il n’y avait plus rien à promouvoir. Mouvoir son entreprise, par contre, ça, elle pouvait.

Céline Juppeau est arrivée de France il y a huit ans.

« Je faisais une maîtrise en gestion de projets d’aménagement et j’avais tout mon réseau professionnel à créer à Montréal, raconte-t-elle. J’allais dans des conférences, entendre de grandes entreprises parler de développement durable, d’achat local, qu’il fallait recycler, faire ceci, faire cela, et je repartais de l’évènement avec une clé USB faite en Chine.

« C’est un peu là que ma prise de conscience a commencé sur l’industrie de l’objet promotionnel. »

Il faut savoir que Céline Juppeau est designer de formation.

« Je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun designer là-dedans et que c’était plein d’objets vraiment très laids, faits en Asie, et qui étaient donnés en quantité massive. »

C’est pour prendre la direction opposée qu’elle a fondé Kotmo, en 2015, dans l’objectif de concevoir et de faire fabriquer localement des objets promotionnels au design soigné, dans des matériaux si possible recyclés ou recyclables.

« J’ai parti ça toute seule », lance-t-elle avec un petit rire, comme gênée de son audace.

Mais elle mentionne immédiatement le nom de Cindy Couture, qui l’a soutenue dès le départ et qui est devenue son associée.

« Au fur et à mesure des demandes de clients, on a réfléchi à des produits, on a développé des objets, je me suis entourée de designers, de manufacturiers pour les fabriquer. »

Elles ont privilégié des entreprises de réinsertion sociale, des entreprises familiales, des entreprises à propriété féminine.

Fidèle aux principes fondateurs, Kotmo a obtenu en 2016 la certification B Corp, accordée aux entreprises qui répondent à de strictes exigences sociétales et environnementales.

« Au début, ça a été vraiment une croissance très… » Elle cherche, puis trouve, le mot de circonstance. « … Durable, dans le sens où ce n’est pas une croissance comme celle des entreprises en technologie. »

Au fil du temps, l’entreprise s’est constitué un catalogue de plus de 100 objets, dont 90 % sont fabriqués au Québec. Des articles de bureau ou de cuisine en bois, des jeux, des sacs…

La bise pandémique

Au début de 2020, Kotmo employait six personnes et connaissait depuis un an et demi une croissance de plus en plus… durable.

Le printemps s’annonçait florissant lorsque la bise pandémique a coupé court à toute floraison.

« On avait beaucoup de clients dans l’événementiel, et puisqu’il n’y avait plus aucun évènement, beaucoup de nos projets sont tombés à l’eau », relate Céline Juppeau.

Les manufactures à qui elle ne passait plus commande étaient de toute manière fermées.

« Ça nous a donné un grand coup. Car on n’a pas d’inventaire. Je produis en fonction de la demande. On n’avait plus rien à vendre, tout simplement. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L’entreprise montréalaise emploie maintenant huit personnes… deux de plus qu’au début de l’année.

Ce fut un choc pour la jeune entrepreneure, douloureusement consciente de ses responsabilités envers l’entreprise et ses employés.

« Ça a été très difficile de jongler avec tout ça, psychologiquement », confie sobrement la femme de 31 ans. « Je n’avais jamais fait ça avant. C’est ma première entreprise. C’est la première fois que je gère une équipe. »

Puis elle s’est ressaisie.

Une vision certaine

« Je veux bâtir une entreprise exemplaire, comme citoyen corporatif, et à un moment, je me suis recentrée là-dessus. Je me suis dit : c’est pour ça qu’on travaille. Oui, il y a une pandémie, oui, tout est un peu compliqué, oui, c’est incertain, mais la vision, elle, est certaine. »

Céline et Cindy ont profité de la fermeture des usines pour réfléchir à la nature de leur entreprise et à l’avenir qui l’attendait. Avec une deuxième vague probable à l’automne, comment affronteraient-elles un autre confinement industriel ?

« C’est là qu’on s’est dit : on va développer une gamme de produits qu’on va créer pendant l’été et qu’on tiendra en inventaire. Puis on va faire participer plusieurs de nos manufactures, de nouveaux collaborateurs, et développer ça dans une optique de soutien de l’économie locale. »

Le projet était inspirant, mais il allait aspirer des fonds. L’entreprise pouvait-elle courir ce risque ?

Depuis un an, Céline était soutenue par un mentor issu du milieu bancaire, avec lequel elle a pu maintenir le contact durant le confinement.

« Il m’a donné un autre regard sur mes finances et la santé financière de l’entreprise, pour m’aider aussi dans ce choix d’investissement. Ça a été essentiel, en fait. Ça m’a permis de me dire : oui, on fait le pari que ça va fonctionner. »

La course

Tout a déboulé. La réflexion sur une gamme de produits s’est tenue en avril.

Huit objets ont été retenus : sous-verres, pantoufles, chaussettes, chocolat, emporte-pièce, affiches, cartes, bougeoirs.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Voici la gamme de produits conçus par l’entreprise au cœur de la pandémie, afin de se créer un stock qui ne serait plus soumis aux aléas du confinement.

Les produits ont été conçus en mai et juin par l’équipe de Kotmo et illustrés par quatre collaboratrices.

Les prototypes ont été construits en juillet. La production des huit produits s’est faite en août et septembre à raison de 1000 à 2000 unités, par huit manufacturiers différents.

« Tout est stocké dans une entreprise de Québec qui peut faire tout l’assemblage des boîtes cadeaux, une entreprise de réinsertion sociale aussi, une super belle entreprise. »

Bientôt Noël

L’entreprise de Céline Juppeau compte maintenant huit personnes, dont une designer industrielle.

« On a fait beaucoup d’investissements, lance-t-elle. Notre nouveau site internet complètement transactionnel a été lancé il y a 10 jours. »

Pour l’instant, l’entreprise se concentre sur Noël.

Pour la suite, « on développe à l’interne de nouveaux produits, on réfléchit à des articles qui pourraient être compostables, on se questionne beaucoup sur les matières ».

La pandémie a raffermi plutôt qu’affaibli la résolution de la petite équipe.

« L’objectif ultime de l’entreprise, c’est de changer l’industrie de l’objet promotionnel radicalement. On ne déroge pas de notre vision. »