L’annonce de la fermeture définitive de la chaîne de magasins de vêtements Le Château, fondée il y a 60 ans à Montréal par l’entrepreneur Herschel Segal, vient consacrer l’effondrement d’une entreprise québécoise iconique de plus. Toutefois, le moins que l’on puisse dire, c’est que le fondateur du Château a la couenne dure. À 89 ans, Herschel Segal pilote encore le redressement espéré de la chaîne DavidsTea, qui vient de fermer 82 boutiques au Canada et les 42 magasins qu’elle exploitait aux États-Unis.

Même s’il n’était plus associé aux activités courantes de l’entreprise qu’il a fondée en 1959, Herschel Segal est resté longtemps l’un des principaux actionnaires des boutiques Le Château.

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Le Château a eu recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies afin de liquider ses actifs et de fermer boutique définitivement.

Durant des années, l’entrepreneur de la mode a tenu à bout de bras cette chaîne de magasins de vêtements qui a pris forme au début des années 1960 et qui s’est rapidement distinguée par son audace et sa capacité à incarner les tendances de son époque.

Durant les années 1960, 1970 et 1980, c’était in de s’habiller au Château, qui proposait des collections audacieuses qui recyclaient les goûts du jour et même la mode hippie.

C’est d’ailleurs la raison qui a poussé Aldo Bensadoun à y installer en 1972 les premiers présentoirs de ses modèles de chaussures branchés pour l’époque, dont les fameux sabots de bois, d’inspiration hollandaise, qui ont fait fureur et qui ont lancé la marque et les magasins Aldo par la suite.

Herschel Segal a réussi l’expansion du réseau de magasins Le Château partout au Canada et a tenté de percer le marché américain, sans succès. Il le concédera à l’époque, il aurait dû déménager et orchestrer sur place le déploiement de la marque.

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L’homme d’affaires Herschel Segal

Même si elles devaient évoluer dans une industrie difficile, en constante transformation, les boutiques Le Château ont toujours réussi à se tirer d’affaire, malgré des crises ponctuelles. Toutefois, en 1994, leur fondateur voulait déjà passer à autre chose.

À 63 ans, alors qu’aucun de ses cinq enfants ne souhaitait prendre la relève, Herschel Segal tente de vendre Le Château à un grand groupe international, sans succès.

Douze ans plus tard, en 2006, tout juste après avoir vendu un bloc important de ses actions, il sollicite une nouvelle fois les acquéreurs potentiels, mais ne trouve aucun repreneur pour son réseau de 185 magasins. Il cède son poste de PDG à sa femme, Jane Silverstone Segal, qui lui succédera par la suite à titre de présidente du conseil de l’entreprise jusqu’à l’annonce de sa fermeture, la semaine dernière.

Un entrepreneur dans le sang

La dernière fois que j’ai rencontré Herschel Segal, c’était lors de l’ouverture de la boutique DavidsTea de l’avenue Saint-Viateur à Montréal, en 2012. Le concept de bistrot-dégustation de thé avait été lancé quatre ans plus tôt et connaissait un succès fulgurant avec l’ouverture de pas moins de 70 points de vente.

L’entrepreneur s’était associé avec le petit-fils de son frère (avec qui il avait ouvert le premier magasin Le Château en 1959) David Segal, 25 ans.

« Lorsque j’ai quitté Le Château, en 2006, je cherchais un hobby pour m’occuper. J’avais le goût d’investir dans des projets d’affaires. J’ai fondé la société New Equity Corporation et David est venu travailler avec moi », m’avait simplement expliqué l’entrepreneur.

On connaît la suite, DavidsTea a poursuivi de façon agressive son expansion en réalisant une percée aux États-Unis, là où Herschel Segal s’était pourtant brisé les dents 20 ans plus tôt.

C’est qu’à partir de 2014, les problèmes n’ont fait que s’accumuler chez DavidsTea ; problèmes de croissance, d’approvisionnement, d’exécution, de location… Deux PDG se sont succédé jusqu’à ce qu’Herschel Segal, président exécutif du conseil, reprenne les rênes de l’entreprise et soit nommé PDG intérimaire, fonction qu’il occupe toujours.

L’entreprise qui s’était inscrite au NASDAQ en juin 2015 avec un titre valorisé alors à plus de 20 $ US ne vaut plus aujourd’hui que 1,10 $ US, alors que le nombre de boutiques en activité est passé de plus de 230 à… 18, dans la foulée d’une dernière restructuration.

Le passe-temps de Herschel Segal s’est effondré comme un malheureux château de cartes, mais l’homme de 89 ans tient bon et espère toujours transformer DavidsTea avec sa base restreinte de boutiques et une opération de ventes en ligne plus importante.

Il n’en reste pas moins que la fermeture définitive de la chaîne de boutiques de vêtements Le Château, née en pleine Révolution tranquille, marque la fin d’une entreprise québécoise iconique de plus qui ne survivra pas à son fondateur.

À l’instar de Bombardier qui a grandi sous l’impulsion de Laurent Beaudoin pour devenir une multinationale du transport, mais qui a dû récemment subir une profonde restructuration pour échapper à la faillite ou de la chaîne de magasins de chaussures Aldo qui a été démultipliée par son fondateur Aldo Bensadoun, mais qui doit aujourd’hui rationaliser ses activités pour survivre, c’est au tour de la chaîne de magasins de vêtements Le Château de se heurter à un mur.

À la différence de Bombadier et d’Aldo, les dirigeants du Château ont jeté l’éponge en décidant de liquider simplement ce qui reste de l’entreprise plutôt que de tenter un ultime sauvetage comme cherche toujours à le faire Herschel Segal avec DavidsTea.