Il manque pas moins de 13 000 travailleurs dans l’industrie de la construction, calcule la Commission de la construction du Québec (CCQ). Au moment où le gouvernement voudrait mettre en branle divers projets d’infrastructure pour relancer l’économie, l’industrie a imaginé huit changements réglementaires pour contrer la rareté de main-d’œuvre.

C’est la première fois que la CCQ met un chiffre sur la pénurie. Les économistes de l’organisme prévoient que son industrie aura besoin de 13 000 personnes supplémentaires par année jusqu’en 2025. Si rien n’est fait, la pression risque de s’accentuer.

« On est entrés dans le confinement avec des problèmes de pénurie de main-d’œuvre, on en sort avec ce même problème amplifié avec les investissements annoncés par le gouvernement qui s’étaleront sur plusieurs années », soutient au téléphone Diane Lemieux, PDG de la CCQ. Elle souligne que depuis deux ans, la CCQ documente les enjeux de pénurie causés par le vieillissement de la population et la baisse d’inscriptions dans les programmes de formation.

L’organisme a d’ailleurs mis le pied sur l’accélérateur pour soumettre rapidement au gouvernement des solutions. La CCQ déposera son mémoire, mardi, à la fin des consultations publiques sur le projet de loi 66, Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure.

Le mémoire comporte huit changements dans la réglementation actuelle (voir ci-contre), dont un qui permettrait de reconnaître l’expérience acquise hors de la construction ou dans un autre pays. C’est la première fois que la CCQ ouvre la porte à cette solution attendue par de nombreux entrepreneurs.

Il y a certainement des soudeurs et des mécaniciens d’autres industries qui pourraient venir dans la construction. On pourrait attirer des gens en réorientation et les chômeurs pandémiques.

Guillaume Houle, responsable des affaires publiques à l’Association de la construction du Québec

L’Association de la construction du Québec (ACQ), qui représente 17 000 entrepreneurs des secteurs institutionnel, commercial et industriel ainsi que plusieurs centaines d’entrepreneurs du secteur résidentiel en hauteur, espère que le gouvernement adoptera rapidement les mesures.

La CCQ est à ce point certaine que ses mesures seront adoptées par le gouvernement qu’elle travaille déjà à leur mise en place. Les nouvelles règles pourraient entrer en vigueur en 2021.

Toutefois, la simple adoption de ces mesures n’aura pas des effets miraculeux, rappelle la CCQ dans son rapport. Selon l’organisme, il faudra aussi faire de l’industrie de la construction un milieu de travail attirant et inclusif en recrutant des femmes, des immigrants et des membres des Premières Nations.

Gérer les effectifs réduits

La CCQ estime qu’avec ses huit mesures, elle serait en mesure de faire entrer 13 000 nouveaux travailleurs dans l’industrie. Ce qui faciliterait la vie de plusieurs entrepreneurs avec qui La Presse s’est entretenue.

« Si un gars arrive un matin motivé avec son casque et ses bottes de construction pour travailler chez nous, je ne peux pas l’engager, parce qu’il n’a pas ses cartes. Mais s’il traverse en Ontario, c’est possible », illustre Shawn Côté, vice-président de Décor Pink – Couvre-planchers, une entreprise qui œuvre dans les secteurs résidentiel et commercial.

La situation géographique de cette entreprise familiale accentue les problèmes de rareté de main-d’œuvre. M. Côté est impatient de voir se concrétiser les assouplissements proposés par la CCQ. « On est sûr que ça va nous aider », dit-il.

Actuellement, un non-diplômé souhaitant travailler dans la construction doit trouver un employeur qui lui assure 150 heures. Ensuite, il doit attendre que la CCQ ouvre le bassin de main-d’œuvre pour le métier désiré dans sa région afin de pouvoir obtenir une carte d’apprenti. La nouvelle règle permettrait d’éviter ce processus laborieux et d’obtenir d’emblée une carte d’apprenti.

De son côté, l’entrepreneur général François Boissy, de Construction Frank, spécialisé dans la rénovation résidentielle, a été obligé d’augmenter les salaires des employés qui travaillent sur ses chantiers, mais qui n’appartiennent à aucun métier de la construction.

On est obligé de payer la main-d’œuvre plus cher, surtout si on veut attirer de jeunes travailleurs et les garder.

François Boissy, entrepreneur général

En Estrie, Alain Patry, entrepreneur général chez Gilles Patry inc., comptait sur des jeunes qui devaient terminer leur formation en novembre, mais qui, à cause de la COVID-19, la termineront en février.

« Ça va compliquer les choses pour nous, car on a des carnets de commandes bien remplis », relate-t-il au téléphone.

La nouvelle mesure, qui vise les élèves en formation, pourrait d’ailleurs lui venir en aide. Actuellement, ces élèves n’ont pas accès aux chantiers durant leurs études. La CCQ souhaite modifier les règles et favoriser plutôt l’alternance entre les études et le travail. Les heures de formation seraient aussi bonifiées pour inciter les jeunes à terminer leurs études.

Mesures proposées

Favoriser la relève entrepreneuriale

Actuellement, la réglementation permet seulement à l’enfant d’un employeur d’obtenir une exemption à détenir un certificat de compétence pour travailler sur les chantiers. La CCQ veut hausser le nombre d’enfants qui pourraient bénéficier de cette mesure, entre autres dans les petites entreprises familiales.

Accélérer l’accès au statut de compagnon

Actuellement, un apprenti devient compagnon après avoir accumulé un nombre précis d’heures et réussi son examen. La CCQ souhaite accélérer le passage du statut d’apprenti à celui de compagnon, en admettant des apprentis à l’examen de qualification plus tôt dans l’apprentissage.

Permettre la présence de plus d’apprentis

Le ratio compagnon/apprenti sur un chantier est de 1 pour 1 à l’heure actuelle. La CCQ aimerait modifier le ratio en permettant à un compagnon de superviser un deuxième apprenti lorsque le premier apprenti est avancé dans son apprentissage.

Valoriser le diplôme professionnel

On reconnaît déjà un certain nombre d’heures de formation aux apprentis diplômés, ce qui leur permet de progresser plus rapidement. La CCQ propose de valoriser de 50 % supplémentaires ce nombre d’heures. De cette façon, les apprentis accéderaient plus rapidement à l’examen et au statut de compagnon.