Le synchronisme pouvait difficilement être plus mauvais.

Le 12 février 2020, Martine Tellier a acheté une résidence pour personnes âgées.

Oh, une toute petite résidence, 41 personnes autonomes et semi-autonomes, mais tout de même.

« J’ai dû fermer les portes deux semaines plus tard », raconte-t-elle.

Elle préparait l’acquisition depuis quelques années, patiemment.

C’est une étonnante histoire, vibrante de liens familiaux…

Martine achète une résidence

Martine Tellier est infirmière clinicienne de profession. En 2012, elle a accepté l’offre de la propriétaire d’une petite résidence de Varennes d’y venir travailler à la fois comme infirmière et comme directrice.

L’offre d’emploi et son acceptation s’expliquent d’une sympathique manière : « Ma mère travaille à la cuisine ici depuis 35 ans, et mon père, c’est l’homme de maintenance », explique-t-elle.

La propriétaire a convenu avec elle que lorsque viendrait le temps de prendre sa retraite, c’est à Martine qu’elle proposerait d’abord l’entreprise.

Après une longue préparation, la transaction s’est conclue le 12 février 2020.

Elle a célébré l’évènement au champagne avec son mari.

« En février, j’avais 40 ans. C’était un beau chiffre : 2020, ça faisait 40. On aurait dit que tous les astres s’étaient alignés ! » Mais les astres se sont immédiatement dispersés.

Au début de mars, elle a bouclé l’édifice, « avant même que le gouvernement le demande ».

Le coronavirus se propageait trop vite au goût de l’infirmière. « J’ai eu peur. J’ai fermé la porte aux familles et aux membres du personnel du CLSC. »

Pour éviter tout risque de contamination extérieure, elle a pris en main les soins que venaient donner les infirmières. Forte de son expérience professionnelle, elle s’est chargée des prélèvements, injections et autres pansements…

Mais il lui a fallu défendre une mesure dont bien peu voyaient encore la nécessité.

« J’ai peut-être été un petit peu trop tôt dans ma décision, mais c’est peut-être ce qui m’a sauvée, dit-elle. On sait qu’il y avait beaucoup de gens qui revenaient de vacances, et aller voir leurs parents, c’est le premier réflexe quand ils reviennent. »

Elle avait douloureusement conscience de ses responsabilités envers tous ceux qui lui faisaient confiance.

Les résidants, leur famille et ses employés, d’abord.

Mais aussi ses partenaires d’affaires.

« Étant donné que je n’avais pas fait un paiement hypothécaire encore, je me suis dit : “Ce n’est pas le temps que je fasse faillite ! Parce qu’il y a quand même des gens qui ont cru dans mon projet et qui ont investi avec moi.” »

Un investissement de plusieurs millions, indique-t-elle.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LAPRESSE

Martine Tellier, propriétaire de la Résidence Varennes, pour personnes âgées.

Tenir bon

La résidence Varennes est un long et sobre édifice en brique de deux étages. Martine Tellier y a instauré de strictes mesures de désinfection quotidienne.

Devant le surcroît de travail, elle a engagé trois personnes supplémentaires, qui n’ont pas hésité à monter au front. « Étant donné que je n’avais pas de cas de COVID-19, ça rassurait beaucoup les gens. »

Les services assurés par du personnel itinérant ont été suspendus – la coiffure, par exemple. « Des préposées se sont portées volontaires pour faire des coupes de cheveux pour les hommes, faire des rencontres FaceTime avec les familles. »

Mais à la mi-mars, une nouvelle couche de complexité s’est ajoutée.

« J’ai deux enfants en bas âge. L’école a fermé à ce moment-là. »

Aide-toi, le Ciel t’aidera, dit-on : elle avait fermé la chapelle de la résidence pour éviter les regroupements. Le local a fait office de salle de jeux et d’études pour ses deux enfants de 10 et 11 ans.

Entre-temps, la tension se faisait de plus en plus lourde.

J’avoue que plusieurs émotions se sont ajoutées. La peur que je fasse faillite, la peur qu’il y ait des décès. C’est très familial, ici, on vit avec les résidants 24 heures sur 24. Savoir que quelqu’un pouvait être malade et décéder, dans ma tête, c’était inconcevable que je puisse vivre avec ce sentiment-là.

Martine Tellier

Prenait-elle suffisamment de précautions ? Où et quand le virus allait-il frapper ? Son personnel tiendrait-il le coup ?

« Je n’avais pas le choix de tenir bon. Chaque jour était une petite victoire, mais il y avait des périodes d’insomnie, des périodes de pleurs. »

Le soutien de son conjoint a été prépondérant, souligne-t-elle avec chaleur.

« Mes employées ont été extraordinaires, ajoute-t-elle. Elles ont toujours été présentes au poste. »

« Sans elles, j’aurais vraiment eu beaucoup plus de difficultés à gérer cette crise. »

Elles ? Donc toutes des femmes ?

« Oui, j’ai juste des femmes : deux cuisinières, sept préposées, deux personnes à l’entretien ménager. »

Plus son père, maintenant retraité, qui revient donner un coup de main à l’occasion.

La deuxième vague

Au début du mois d’octobre, avec le déferlement de la deuxième vague, elle a de nouveau fermé l’accès à la résidence.

Mais cette fois, le ressac est moins fort. Les familles des résidants ont appris de la première vague. « Les gens ont vu ma façon de procéder et je n’ai presque pas eu d’appels. »

Son moral s’est raplombé, lui aussi. « C’est sûr que ça va mieux. Il y a des journées plus difficiles. Mais j’ai appris à me parler, j’ai appris à contrôler mon stress. »

Elle reconnaît qu’au printemps, elle a douté d’avoir pris une bonne décision en achetant la petite résidence.

« Aujourd’hui, je me dis que chaque jour que je me lève, j’ai envie d’aller travailler. Qu’il y ait une COVID ou n’importe quelle autre crise, j’ai beaucoup d’outils dans mon sac à dos et je suis prête à faire 20 ans, 25 ans encore. »

Un beau cas : aucun cas !

La Résidence Varennes n’a connu aucun cas d’infection au coronavirus.

« Je touche du bois, je n’en ai pas encore ! », s’exclame Martine Tellier.

Les efforts qui ont permis ce résultat ne sont pas passés inaperçus.

Au printemps, le maire de Varennes a demandé à la boulangerie locale de livrer des petits biscuits en forme d’arc-en-ciel à la résidence.

Le journal local a lui aussi souligné le travail de son équipe.

Des familles ont apporté des cadeaux en remerciement pour les soins apportés à leurs parents. « Toute cette reconnaissance, ces petites tapes dans le dos, ça valait un million de dollars. »

C’est d’abord pour ce genre de bénéfices qu’elle avait investi, un certain 12 février.

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