François Legault voudrait voir davantage d’étiquettes « fabriqué au Québec » sur les produits vendus chez nous. L’augmentation de la production locale sera la grande priorité du premier ministre pour la deuxième partie de son mandat.

Fantastique ! Mais j’espère que les produits financiers figurent aussi sur sa liste d’épicerie. Oui, l’agriculture. Oui, le manufacturier. Mais n’oublions pas que la finance est un moteur important de notre économie qui offre des emplois bien rémunérés aux jeunes qui sortent de nos universités.

Personnellement, je préfère acheter des fraises de l’île d’Orléans au marché Jean-Talon plutôt que des fraises de la Californie chez Costco. Ça encourage l’économie locale, c’est plus écologique… et c’est tellement meilleur !

Pourquoi ne pas en faire autant avec notre argent ?

On ne manque pas de grandes institutions financières au Québec, à commencer par le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, la Banque Laurentienne, l’Industrielle Alliance, et j’en passe. Pourquoi ne pas choisir les produits et services qu’elles manufacturent et distribuent ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« On ne manque pas de grandes institutions financières au Québec, à commencer par le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, la Banque Laurentienne, l’Industrielle Alliance », souligne Stéphanie Grammond.

Il y a aussi des gestionnaires de portefeuille bien établis qui ont leurs bureaux à Montréal, comme Fiera Capital, Addenda Capital, Letko Brosseau, Hexavest, et bien d’autres. Pourquoi ne pas leur confier nos actifs, au lieu d’envoyer notre argent se faire gérer à Toronto, à New York ou ailleurs dans le monde ?

Aidons-nous nous-mêmes, si nous ne voulons pas que notre place financière continue de perdre des plumes.

Au fil des décennies, l’industrie montréalaise de la finance a bien souffert du déménagement des sièges sociaux et des acquisitions qui ont emporté plusieurs acteurs importants.

Les familles de fonds communs de placement destinées au grand public ont presque toutes disparu de la province. Tous les efforts de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour structurer l’industrie ont été anéantis par l’affaire Norbourg, le pire scandale financier de l’histoire du Québec.

Du côté des régimes de retraite des entreprises privées, des municipalités et des universités du Québec, une large part des actifs est gérée à l’extérieur de la province.

Sur les 80 milliards de dollars que ces régimes confient à des gestionnaires externes, à peine le tiers (35 %) est attribué à des firmes québécoises, contre 25 % à des firmes d’autres provinces et 40 % à des gestionnaires étrangers, selon une étude réalisée en 2018 par l’Institut de la statistique du Québec.

Voilà des milliards de dollars d’épargnes appartenant à des travailleurs et à des retraités du Québec qui sont gérés par des entreprises de l’extérieur de la province.

Pourquoi ?

« Les régimes de retraite sont conseillés par des firmes d’actuaires-conseils, à majorité étrangère, qui vont surtout recommander des gestionnaires qui ont atteint une certaine taille », explique Robert Pouliot, qui enseigne à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM).

Ainsi, les grandes firmes de gestion étrangères ont souvent la cote. C’est encore plus vrai quand on parle des actifs non traditionnels (infrastructures, placements privés, etc.) qui nécessitent une expertise plus pointue.

Je comprends que les investisseurs cherchent d’abord et avant tout à maximiser le rendement de leur portefeuille. Mais à compétences égales, n’y aurait-il pas moyen de favoriser les entreprises de chez nous ?

Le gouvernement du Québec a fait des efforts pour développer la grappe industrielle, notamment avec la création de Finance Montréal et du Programme des gestionnaires en émergence du Québec, un incubateur pour les jeunes firmes de gestion.

Mais il manque une forme de solidarité dans l’industrie.

« Je ne suis pas certain que le milieu financier de Montréal s’entraide comme il devrait le faire », constate Jean-François Bernier, chef de la direction d’Interactive Brokers Canada. Cette firme de négociation de produits dérivés dont le siège social est à Montréal est une filiale du troisième courtier indépendant en importance aux États-Unis.

« Il y a une volonté de faire de Montréal une grappe financière, mais je ne l’ai pas sentie dans mon quotidien depuis 17 ans », dit-il. Quand il rencontre des clients potentiels à Montréal, il ne se gêne pas pour leur dire : « Regardez, on est installés à Montréal. Ça serait le fun qu’on puisse y rester. Ça serait le fun que les jeunes qui sortent de l’université puissent travailler ici au lieu d’aller à New York ou à Hong Kong », raconte-t-il.

Mais cela ne semble pas être un argument convaincant pour les firmes montréalaises. Si elles font affaire avec Goldman Sachs à New York, elles vont y rester.

Est-ce donc peine perdue ?

Dans certains domaines, malheureusement, oui. Il ne faut pas se faire d’illusions, il est trop tard pour recréer une famille de fonds communs « made in Québec ». De toute façon, l’avenir est ailleurs. Avec l’avènement des fonds indiciels, la gestion de portefeuille active a perdu de son lustre. La valeur ajoutée est ailleurs. Dans le service, dans l’ingénierie financière, dans les fintechs…

Misons là-dessus si nous ne voulons pas rater la prochaine vague.