La pénurie de canettes qui s’aggrave et les tarifs américains imposés sur l’aluminium canadien pourraient donner un nouvel élan au projet de contenants 100 % fabriqués au Québec pour l’eau, la bière et les boissons gazeuses.

La réalisation de ce projet piloté au Saguenay par l’homme d’affaires Carol Savard est souhaitée de toutes parts, particulièrement du côté des microbrasseries, qui ont le vent dans les voiles.

Les petits fabricants ont peur de manquer de canettes, selon Marie-Ève Myrand, directrice générale de l’Association des microbrasseries du Québec, qui regroupe 160 établissements. « Certains ont des sueurs froides parce qu’ils craignent de tomber en arrêt de production », dit-elle.

Les grands brasseurs sont aussi aux abois, même s’ils souffrent moins que les petits de la rareté des canettes. « Toutes les grandes marques sont offertes à la fois en bouteilles et en canettes, ce qui nous donne de la flexibilité », explique Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l’Association des brasseurs du Québec (ABQ), qui regroupe Molson Coors, Labatt et Sleeman.

Les microbrasseries, qui ont très majoritairement choisi la canette, n’ont pas de chaînes d’embouteillage pour prendre le relais si les canettes viennent à manquer. Et ils sont nombreux à souhaiter que le Québec puisse fabriquer un jour des contenants avec l’aluminium du Saguenay. « La demande de canettes augmente et il y a un avantage environnemental à produire localement, quand on pense aux coûts de transport », souligne Marie-Ève Myrand.

Toutes les canettes consommées du Québec sont produites aux États-Unis avec de l’aluminium canadien.

Une pénurie chronique

La rareté des canettes d’aluminium n’est pas un phénomène nouveau, selon l’ABQ. Elle se produit souvent en été, quand la demande de bière est à son niveau le plus haut chez les vacanciers.

Cette année, si la rareté s’est transformée en pénurie dans certains formats, c’est en raison de la crise du coronavirus. Les restaurants et les bars ont fermé, les grands évènements culturels et sportifs ont été annulés et la demande de bière en fût s’est écroulée.

Les brasseurs ont craint de voir leur volume de ventes chuter, mais le pire ne s’est pas produit. « Au début, on a retenu notre souffle, mais le volume de cette année est stable par rapport à l’an dernier », indique leur porte-parole.

Si le volume est resté stable, il s’est bu dans des contenants individuels plutôt qu’en fût, notamment en canettes. Le phénomène a été amplifié par l’interruption de la reprise des contenants consignés, qui alimentent les producteurs de canettes.

Partout en Amérique du Nord, l’industrie de la bière a été surprise par l’explosion de la demande de canettes. « La demande des consommateurs a évolué d’une manière que personne n’aurait pu prévoir il y a six mois », a souligné le chef de la direction de Molson Coors, Gavin Hattersley, lors de la publication de ses résultats financiers du deuxième trimestre, le 31 juillet.

« Lorsque les bars et les restaurants ont été fermés au début du [deuxième trimestre], la demande de fûts aux États-Unis est tombée à zéro […], et inversement, la demande de canettes a explosé », a-t-il expliqué.

Prix en hausse

En plus de la rareté, le tarif de 10 % imposé sur l’aluminium canadien utilisé par les fabricants des États-Unis poussera le prix de la canette à la hausse. Les brasseurs s’y attendent. « La dernière fois [en 2018, quand les États-Unis ont imposé des tarifs sur l’aluminium du Canada], on a eu des enjeux de coûts », rappelle Patrice Léger Bourgoin.

La pénurie, des tarifs punitifs et une demande croissante pour la canette d’aluminium pourraient faire avancer le projet de fabrication locale des promoteurs du Saguenay. Plusieurs études ont déjà conclu que le marché québécois était trop petit pour rentabiliser ce genre d’usine qui mise sur le volume. Malgré tout, ce projet est encore en vie, a indiqué hier Véronique Auclair, porte-parole d’Alu-Québec, organisation dont la mission est de développer la transformation de l’aluminium du Québec.

Une aide fédérale de 5 millions pour les alumineries

L’aide fédérale de 5 millions, annoncée mercredi par Ottawa aux alumineries frappées depuis lundi par une nouvelle salve de tarifs par l’administration Trump, ne change rien à la situation, mais elle peut les aider à plus long terme. Les fonds versés à l’Association de l’aluminium du Canada serviront à assurer la provenance et l’origine de l’aluminium produit ici, notamment pour en garantir les attributs environnementaux sur le marché. Deux entreprises du secteur de l’aluminium du Saguenay, Canmec et Staca, ont aussi reçu des contributions remboursables de 500 000 $ et de 133 470 $ pour améliorer leur technologie et leurs processus.