Le nombre de plaintes de harcèlement psychologique et sexuel déposées aux Normes du travail a bondi ces dernières années de 22 %. De 3617 en 2016, il est passé à 4415 en 2019.

L’obligation pour les entreprises d’avoir une politique de prévention du harcèlement psychologique et sexuel et de traitement des plaintes depuis janvier 2019 ainsi que l’augmentation du délai – de 90 jours à deux ans – pour porter plainte en matière de harcèlement en 2018 ne sont pas étrangères à cette hausse notable.

« La politique change des choses, car on ne peut plus dire : je ne le savais pas, dit la psychologue Sylvie Martin, qui accueille dans son cabinet de Laval des victimes de harcèlement. Pour changer des choses, il faut connaître l’information. C’est un très grand pas pour l’employé et l’employeur. »

Le gouvernement a également financé, au cours des dernières années, divers programmes de sensibilisation pour contrer le harcèlement psychologique et sexuel au travail, rapporte la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Sur le plan juridique, je constate que les gens sont de plus en plus informés de leurs recours.

David Bessette, de Bessette Avocats

« On nous consulte pour connaître le processus jusqu’aux tribunaux. Et un travail de vulgarisation a été fait sur le site de la CNESST », explique l’avocat David Bessette, qui exerce en droit du travail.

En effet, on y apprend dans le détail qu’une plainte déposée par un employé non syndiqué est habituellement prise en charge par un inspecteur. Après analyse pour savoir si on peut y donner suite, il pourra la confier à un médiateur dans l’espoir de régler la situation ou à un enquêteur ou au Tribunal administratif du travail si les allégations sont fondées.

Les mouvements #metoo et #agressionnondénoncée sur les réseaux sociaux et les enquêtes journalistiques expliquent aussi la hausse marquée des plaintes déposées. « Des gens très connus et des influenceurs sont sortis de l’ombre ces dernières années, note Sylvie Martin, qui tient également le blogue Équilibre Vie. Quand on apprend qu’une personne a déposé une plainte et que ça fait bouger les choses, il y a un effet d’entraînement. »

Du courage, il en faut encore

Qu’on remette en question ou non les dénonciations sur les réseaux sociaux, ces derniers ont un impact sur la façon de gérer les plaintes dans les entreprises. « Les réseaux sociaux et l’impact médiatique lancent comme message : surveille tes arrières, dit Sylvie Martin. Les départements de ressources humaines vont prendre plus vite les plaintes qui arrivent et vont trouver une façon de faire de la médiation. »

La psychologue note toutefois qu’il ne faut pas moins de courage pour déposer une plainte en 2020 et que l’appui des collègues est important pour aller de l’avant. « Les gens harcelés utilisent généralement le peu d’énergie qu’il leur reste pour se battre, explique-t-elle. Ils sont à bout de souffle, car leur santé mentale et physique est en train d’y passer. Sans soutien, ils n’y arriveront pas. »

Elle constate que les victimes restent encore majoritairement féminines. Et sont souvent plus vieilles que jeunes.

Les plus jeunes n’acceptent pas les choses que les plus vieux acceptent. Les employés plus vieux sont plus fragiles. Et les femmes tolèrent plus longtemps ce qui est inacceptable.

Sylvie Martin, psychologue

Hausse marquée des demandes d’indemnisation

Par ailleurs, la hausse des demandes d’indemnisation (réclamations) est encore plus marquée que celle du nombre de plaintes. Il y a eu près de quatre fois plus de réclamations pour harcèlement psychologique et sexuel à la CNESST en 2019 (1311) qu’en 2016 (386).

De ce nombre, 321 ont conduit à des lésions acceptées (indemnité de remplacement du revenu, remboursement des frais d’assistance médicale…) en 2019, contre 71 en 2016, selon un tableau obtenu par La Presse, grâce à la loi sur l’accès à l’information, et d’autres données fournies par la CNESST.

Cela dit, dépôt de plainte et réclamation sont deux processus distincts. On peut déposer une plainte sans faire une demande d’indemnisation. Et on peut faire une réclamation sans avoir déposé de plainte au préalable.

Depuis quatre ans, 65 % des réclamations pour harcèlement psychologique et sexuel proviennent de femmes. Et si les réclamations émanent de différents secteurs d’activités, en 2019, 21 % des réclamations pour harcèlement psychologique ou sexuel étaient inscrites à la colonne « soins de santé et assistance sociale ». Les secteurs de l’enseignement, du commerce de détail, de l’administration publique et de la fabrication de biens ne sont pas en reste.

Une harmonisation du processus de traitement des réclamations au bénéfice des victimes explique en partie cette hausse, selon la CNESST.

« Depuis 2017, lorsqu’une personne dépose, pour le même événement, une réclamation au secteur SST (Santé et sécurité au travail) et une plainte de harcèlement psychologique ou sexuel au secteur NT (Normes du travail), le dossier est considéré comme conjoint, explique par courriel Audréane Lafrenière, porte-parole de la CNESST. L’échange d’expertise entre les deux secteurs a permis de développer une compréhension commune des notions liées au harcèlement psychologique et sexuel et d’améliorer la compréhension de ce qu’est le harcèlement au secteur SST. Par conséquent, il y a une meilleure cohérence dans les décisions rendues par les deux secteurs. »

Il est à noter que le portrait final pour les réclamations et les dépôts de plaintes en 2020 n’est pas encore terminé.

– Avec William Leclerc, La Presse