Si Donald Trump se permet d’être le président le plus irresponsable, superficiel et déconnecté des réels défis et devoirs liés à son rôle de l’histoire des États-Unis, alors je me permets moi aussi de vous improviser une thèse improbable (ou pas tant que ça).

S’il veut interdire TikTok, comme il l’a dit vendredi, c’est parce que c’est la plateforme de prédilection d’une de ses critiques les plus efficaces par les temps qui courent : Sarah Cooper.

Cooper, une humoriste, fait des vidéos en bougeant ses lèvres pour faire semblant de parler, sur des extraits sonores de réelles déclarations de Trump. Évidemment, elle choisit les plus abracadabrantes, comme celle où il dit qu’il est meilleur qu’Abraham Lincoln, ou encore lorsqu’il se vante d’avoir réussi un test destiné à évaluer le déclin de personnes soupçonnées de problèmes cognitifs en arrivant à répéter cinq mots de suite. Ou encore lorsqu’il dit qu’il veut interdire TikTok.

Et c’est hilarant.

PHOTO LIONEL BONAVENTURE ET JIM WATSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump souhaite interdire TikTok aux États-Unis.

> Voyez les vidéos de Sarah Cooper

Sans blague, allez la voir. Sur la plateforme de divertissement TikTok ou sur Instagram ou ailleurs. Elle est un peu partout. Mais elle est d’abord sur la fameuse application chinoise qui fait tant grincer des dents le président américain. Et je ne serais pas étonnée qu’une partie de sa motivation à changer le cours des choses pour cette plateforme chinoise soit de montrer à ses détracteurs qui l’utilisent qui a le dernier mot sur tout aux États-Unis.

Ça ne serait pas son premier abus de pouvoir.

Mon ado, elle, pense que Trump est fâché contre l’appli depuis qu’elle a permis à des centaines de milliers de fans de K-Pop – musique coréenne – particulièrement bien organisés et autres détracteurs du président de faire semblant de vouloir aller au rassemblement Trump de Tulsa, en juin, bloquant ainsi des dizaines de milliers de sièges. Cela a eu comme résultat que Trump s’attendait à voir une foule aussi nombreuse que dithyrambique, et il n’en fut rien. Le mot humiliant, ici, est un euphémisme.

Exactement de quoi mettre dans la tête du président qu’il faut démontrer sa force contre cette mouche du coche.

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Évidemment que toute cette histoire de vouloir interdire TikTok, comme le président l’a lancé vendredi, n’a aucun bon sens. Vous connaissez cette plateforme ? Vous y avez peut-être vu vos voisins faire une chorégraphie sur la chanson Blinding Lights de The Weeknd, particulièrement populaire au début du Grand Confinement ? Ou des vidéos de chiens mignons transformés par des effets spéciaux ? Ou des gens rire de Trump, et pas juste Sarah Cooper.

Pourquoi est-ce que le président s’énerve avec ça ?

Officiellement, c’est parce que cette application est immensément populaire avec ses 100 millions d’utilisateurs et qu’elle n’est pas américaine. La plateforme appartient en effet à la société ByteDance, une entreprise chinoise à capital fermé.

Officiellement, c’est aussi parce qu’à la fin de 2019, une entreprise israélienne de sécurité, Check Point Research, a discerné des problèmes de sécurité au sein de l’application qui, normalement, ont été réglés, mais qui sont brandis par Trump comme de possibles failles ouvrant la porte à de l’espionnage de la part des Chinois. En passant, cette entreprise de cybersécurité a aussi détecté des problèmes chez WhatsApp, notamment, mais comme c’est une société américaine, il n’y a pas l’aspect espionnage ici, juste la non-protection de la vie privée de millions d’utilisateurs… Le problème est grave ! Mais pas de crise de nerfs trumpienne.

Mais revenons à TikTok qui enquiquine ce président, et dont il a lancé l’idée de l’interdire aux États-Unis.

Après vendredi, l’histoire s’est poursuivie de façon encore plus étrange.

Durant le week-end, Trump a en effet parlé au grand patron de Microsoft, qui pourrait maintenant acheter une partie de TikTok, pour les marchés américain, canadien, australien et néo-zélandais.

Parce que Trump dit que si l’application était achetée par une entreprise « très américaine » – « very American », ce sont ses mots –, ça ferait son affaire. Ça serait acceptable.

Et comme si ce n’était pas suffisamment bizarre que le président fasse ce genre de manœuvre pseudo-diplomatico-commerciale, il propose en plus que le Trésor américain soit rémunéré pour l’entente.

L’ancien homme d’affaires veut un pourcentage sur le « deal ».

C’est insensé.

D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dis, mais bien une pléthore de spécialistes constitutionnels américains cités par différents médias.

> Lisez « Incrédulité face à Trump, qui veut une part du gâteau TikTok »

Un gouvernement ne peut juste pas se mettre à utiliser son pouvoir politique afin de forcer la vente totale ou partielle d’une entreprise pour obliger ensuite les parties à lui offrir un pourcentage comme s’il avait joué un rôle de courtier.

L’immensité de la dérive de ce président serait lassante si c’était une télésérie. Au point où on en est, c’est effarant et effrayant.

La vraie question ici est qui permet à cet homme d’être encore au pouvoir ?

Y a-t-il seulement Elizabeth Warren, ancienne candidate à l’investiture démocrate, pour montrer du doigt les hommes forts républicains qui soutiennent ce clown ?

Pourquoi ne sont-ils pas, eux, tous les jours à la une des journaux ? Pourquoi ne connaît-on par tous leurs noms par cœur ?

C’est grave.