Vous vous rappelez mon pif de vendredi dernier ? Aujourd’hui encore, ce pif m’aide à dessiner les finances publiques à venir du Québec, à la lumière du tout récent énoncé budgétaire.

Le mini-budget du ministre des Finances, Eric Girard, contient aussi trois nouvelles méconnues dont j’aimerais vous faire part.

Le pif, d’abord. L’énoncé du gouvernement donne moult détails sur le déficit de l’année en cours (2020-2021), estimé à 14,9 milliards. Ce déficit serait ramené à 10,9 milliards si l’on présume que le gouvernement n’aura pas besoin de la provision de 4,0 milliards qu’il a inscrite pour faire face à une possible deuxième vague.

Le ministre est loquace sur l’année en cours, donc, mais peu bavard sur les années suivantes, notamment sur l’année post-COVID-19. Habituellement, un budget contient les équilibres financiers sur une période de cinq ans.

Premier constat : les dépenses extraordinaires engagées cette année sont presque toutes non récurrentes. Sur les 6,6 milliards de dépenses extraordinaires indiquées au budget — qui viennent d’autant gonfler le déficit —, on peut estimer que seulement 1 milliard, environ, grèvera les finances publiques de l’année post-COVID-19, soit 2021-2022.

Dit autrement, cette non-récurrence fera fondre de moitié le déficit de l’an 2. Intéressant à savoir quand même !

Le reste du déficit de cette année vient d’une atrophie sévère des recettes d’impôts et de taxes du gouvernement attribuable à la récession.

De fait, le coronavirus fait reculer les revenus fiscaux du gouvernement de 7,4 milliards, somme à laquelle s’ajoute la chute des revenus provenant des sociétés d’État, entre autres, pour une déconfiture totale de 9,6 milliards. Ouch !

Heureusement, les mesures du fédéral se traduisent notamment par des transferts au gouvernement du Québec de l’ordre de 4,1 milliards, ce qui vient amoindrir l’impact. Ces nouveaux fonds fédéraux, cependant, seront non récurrents, eux aussi.

La déconfiture de 9,6 milliards des revenus reviendra-t-elle l’an prochain, en 2021-2022 ? Pas si l’on se fie aux projections économiques du gouvernement.

Le gouvernement du Québec prévoit que le PIB nominal (incluant l’inflation) reculera de 4,1 % cette année, mais explosera de 7,1 % l’an prochain. Ces prévisions économiques sont semblables à celles du secteur privé.

Cette croissance musclée du PIB nominal en 2021-2022 viendra gonfler les recettes du gouvernement d’environ 3 milliards, selon mes estimations (1). À cela, il faut ajouter que les revenus des sociétés d’État reprendront du tonus.

Tout compte fait, donc, les recettes de l’année 2 seront plus basses que prévu d’environ 5 milliards, ce qui contribuera au déficit, mais l’impact de la pandémie se sera clairement amoindri. À cette somme, il faut ajouter le milliard de dépenses que j’estime récurrentes, pour un déficit d’environ 6 milliards à l’année 2.

En résumé, le déficit du Québec serait de 10,9 milliards cette année et d’environ 6 milliards l’an prochain.

Faudra-t-il faire des compressions ou encore hausser les impôts de 6 milliards pour retrouver l’équilibre rapidement ? Eh bien non, probablement pas.

Si le Québec parvient à éviter une deuxième vague importante, le gouvernement aura encore dans ses livres une réserve inutilisée de 4 milliards, venant des surplus des dernières années (2). Et l’effort à court terme portera non pas sur 6,0 milliards, mais sur 2,0 milliards, ce qui est somme toute gérable.

Pour l’année suivante, on verra. Mais il n’est pas impossible que notre dynamisme économique parvienne à effacer une partie du déficit restant. Et au diable la douleur.

Trois nouvelles

Trois petites nouvelles dans l’énoncé ont été moins couvertes par les médias. La première porte sur les offres du gouvernement aux employés du secteur public, la deuxième, sur la croissance de la dette et la troisième, sur le financement de la dette.

Dans l’énoncé, il est indiqué que les offres du gouvernement équivalent à 2 % par année pendant trois ans, pour un total de 6 % sur trois ans. Cette offre était somme toute ordinaire avec les anciens paramètres économiques. Dans le dernier budget, d’ailleurs, le gouvernement s’attendait à une inflation de près de 6 % sur trois ans.

Or, maintenant, les prévisionnistes s’attendent à une inflation avoisinant les 4,3 %, ce qui, au bout du compte, enrichirait les employés de l’État, ce qui n’était pas le cas avant le coronavirus.

Autre nouvelle : la dette brute du gouvernement augmentera de 22 milliards cette année, soit bien davantage que le déficit de 14,9 milliards. L’écart d’environ 7,0 milliards s’explique par les facteurs autres que le déficit qui viennent gonfler directement la dette brute.

Et d’où vient cet écart ? Principalement de l’impact de la croissance des investissements annoncés par l’ex-président du Conseil du trésor Christian Dubé. L’accélération de ces investissements vient hausser de 6,6 milliards le poste de la dette appelé « immobilisations nettes », ce qui est presque le double de ce qui était prévu au budget de mars dernier.

Enfin, dernière nouvelle : moins de trois mois après le début de son exercice financier, le gouvernement a déjà complété 38 % de ses besoins de financement annuel de 32 milliards.

Ces emprunts de 12,3 milliards sur 32 constituent « un record pour un début d’année financière ». Il faut croire que les investisseurs sont friands des obligations du Québec, même en temps de pandémie.

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1. Mes estimations se fondent sur l’analyse de sensibilité des revenus autonomes du gouvernement à une variation du PIB nominal (800 millions par point de pourcentage du PIB).

2. Cette réserve comptable, accumulée au fil des ans avec les surplus budgétaires, s’élevait à 14,9 milliards au 31 mars 2020. Le Québec compte l’utiliser pour éponger le déficit de cette année (10,9 milliards s’il n’y a pas de 2e vague), si bien qu’il restera environ 4,0 milliards inutilisés.