Le 1er juin, au lendemain de la première grande manifestation du Black Lives Matter dans la métropole, l’entreprise montréalaise Aldo a rendu publique une prise de position marquante sur Instagram.

Non seulement y expliquait-on que l’entreprise, la marque, était de cœur avec tous ceux qui ont pu être la cible d’actes racistes et de violences policières, mais en plus on y prenait des engagements.

Un engagement face à l’éducation au sujet de la discrimination contre les Noirs et la nécessité d’être mieux renseigné et outillé pour participer à la lutte contre le racisme. Un engagement de mieux protéger les personnes cibles de préjugés et d’actes répréhensibles, notamment dans les boutiques Aldo. Et finalement, l’entreprise s’engageait à payer les frais judiciaires de tout employé interpellé dans le cadre de manifestations pacifiques.

C’est la spécialiste des communications Martine St-Victor, présidente de Milagro, qui a attiré mon attention sur cette prise de position.

« C’est très fort comme message, m’a-t-elle dit. On va pas mal plus loin que les habituelles platitudes. »

C’était presque un encouragement, et certainement un feu vert, à aller dans la rue, de façon légale, pour exprimer des doléances.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Des milliers de manifestants ont marché dimanche dans les rues de Montréal pour dénoncer le racisme et la brutalité policière.

De très nombreuses entreprises et marques ont ainsi exprimé depuis une dizaine de jours toutes sortes de messages d’appui et de solidarité envers les participants au vaste mouvement mondial demandant la fin du racisme et déclenché par l’assassinat du Noir américain George Floyd.

Nike, Adidas, HBO, Netflix, L’Oréal, Apple, Spotify, Etsy, Uber… Les équipes de sport, incluant le Canadien et les Alouettes, ont pris position aussi. C’est venu de tous les côtés, autant par des marques québécoises locales comme Lambert et fils – designer et fabricant de lampes – que par la grande porte des Ssense, DECIEM, Provigo, Maxi, Lululemon et compagnie.

Lundi, j’ai même lu le message d’engagement contre le racisme d’un des grands bureaux d’avocats pancanadiens, Borden Ladner Gervais.

Mais qu’est-ce qui fait qu’une marque peut ainsi exprimer sa solidarité et recevoir les félicitations et les remerciements des groupes touchés par le message, alors que d’autres se font instantanément accuser d’opportunisme ?

Parce qu’il y en a eu beaucoup de ça. Pour chaque marque qui s’est prononcée, il y a eu une armée d’observateurs prêts à ressortir tous les squelettes de tous les placards et analyser toutes les feuilles de route. Et donc prêts à dénoncer les hypocrisies de toutes sortes. Les marques sont scrutées à la loupe depuis le début de leurs prises de position.

Comment peuvent-elles naviguer à travers tout ça sans être surprises par des considérations qu’elles n’avaient pas vues ?

C’est à cause de cette crainte du faux pas que plusieurs préfèrent rester silencieuses. Donc l’absence de posture ne doit pas être perçue nécessairement comme de l’indifférence, note Mme St-Victor. Parfois, c’est plutôt une discrétion nécessaire, pour se donner le temps de réfléchir et penser aux bons messages.

Selon l’analyste, tout repose essentiellement sur l’authenticité de la prise de position, qui repose souvent sur la profondeur de l’engagement de la marque. Et cela se mesure certes par la réalité de la diversité de ses équipes, mais aussi par l’historique de ses actions.

Par exemple, la semaine dernière, quand Nike a posté un message, assez rapidement après le début de ce nouvel emballement sans pareil du mouvement Black Lives Matter, elle l’a tout de suite relayé sur les réseaux sociaux.

De très nombreux intervenants sur ces espaces de discussion publics, comme la célèbre publicitaire féministe très engagée new-yorkaise Cindy Gallop, ont toutefois critiqué vertement Nike, qui n’a pas d’afro-descendant dans sa haute direction. Mais pour Mme St-Victor, Nike a une feuille de route respectable à sa défense. Ce n’est pas d’hier que l’entreprise est engagée, dans ses communications, dans la lutte contre le racisme.

En 2017, par exemple, l’entreprise qui commandite des athlètes noirs depuis toujours avait déjà lancé une vaste campagne sur l’égalité, avec la joueuse de tennis Serena Williams et le joueur de basket LeBron James et même la légende du basket Michael Jordan. Et c’est la seule marque qui non seulement n’a jamais laissé tomber Colin Kaepernick – le joueur de football mis au ban de son sport pour avoir mis un genou au sol pendant l’hymne national américain pour protester contre la violence policière et le racisme –, mais en plus célèbre encore aujourd’hui la force de ses convictions.

Autre marque qui a frappé Mme St-Victor ces derniers jours : Lucasfilm et sa franchise Star Wars. La maison de production a en effet non seulement appuyé les propos militants de l’acteur de Star Wars John Boyega, qui a parlé en public lors d’une manifestation à Londres. Mais elle a même fait savoir que Boyega était maintenant un héros. Un héros du réel. « Star Wars, les films qui ont créé des héros, dit qu’il est un héros, c’est important. »

Mais la plus grande marque au Québec, dit-elle, c’est le gouvernement du Québec.

Et cette marque-là, croit Mme St-Victor, n’a pas encore suffisamment pris position.

Et je suis assez d’accord.

Il manque encore un message de grandeur, solennel, venant de Québec, quelque chose sans bémols comme il y en avait trop dans le message de François Legault lundi. Je pense notamment à quand il a dit qu’il ne fallait surtout pas « faire le procès des Québécois » dans nos réflexions sur le racisme. C’est ça qu’il faut enlever, laisser place uniquement à la générosité, à la compassion, à la lucidité face à notre responsabilité collective. Nos concitoyens discriminés, ceux qui ne peuvent réaliser leur plein potentiel dans notre collectivité vu ce dont ils sont victimes, ont besoin qu’on admette qu’on fait partie du problème, et qu’on le reconnaisse franchement, comme des adultes assez forts pour avancer avec leurs faiblesses. On a besoin de quelque chose de digne et bon, façon Obama.

Monsieur le Premier Ministre, ça prendrait ça.