Cette chronique a commencé par un appel d’une amie qui dirige une bande de jeunes créateurs et créatifs dans une société de communication montréalaise dynamique et occupée.

« Ça va, toi ? Moi, ça va, m’a-t-elle dit, mais j’ai de la difficulté à motiver mes troupes. »

Le confinement et le télétravail, c’est clair, ne conviennent pas à toutes les entreprises.

Pour tout ce qui se fait en solo, certes, on n’y voit que du feu. Les consultations d’avocats, de psychologues, de courtiers en hypothèques…

Mais quand les réunions, les échanges, les blagues entre collègues, la communication d’informations cruciales ou pas sont essentielles à la vivacité de l’esprit de tout le monde, le côté éteignoir de l’isolement est difficile à surmonter.

« Ma gang s’ennuie, m’explique-t-elle. Ils sont grognons. Et ils finissent par fumer du pot pendant la journée. »

Ah bon ?

Au travail ?

Appel à tous sur Facebook. Quelqu’un a vu ça ? Des travailleurs qui ont recours aux produits de la SQDC pendant leur quart de travail ? C’est fréquent ? Commun ? Un phénomène propre à la pandémie ?

Réponses éparses. « Oui, ça existe », me dit-on en gros. Mais bonne chance pour trouver quelqu’un prêt à témoigner.

Puis, réponse d’un ami de longue date, qui travaille maintenant en Californie, dans le monde de la techno, bien sûr. Lui aussi à la tête d’équipes scotchées devant leurs écrans.

« T’es sérieuse ? »

Mais c’est évident, me répond-il en substance, que tout le monde est sur l’herbe ici dans la Silicon Valley.

Allô !

Quand Richard, c’est son nom, est arrivé dans la région, c’était avant la légalisation du cannabis en Californie. Et son nouvel employeur lui a alors fait passer un test pour savoir s’il en consommait.

Mais maintenant, m’a-t-il expliqué, cette attitude a totalement changé pour tous ceux qui travaillent en techno.

Les cols bleus, ceux qui opèrent de la machinerie, qui conduisent et font d’autres activités où le fait d’être sous influence est dangereux sont encore testés. Et c’est très surveillé. On est dans un univers de tolérance zéro encore et toujours.

Mais dans les milieux où il faut essentiellement réfléchir, analyser, inventer et coder ?

En 2013, déjà, Bloomberg consacrait un long article à la question du pot dans la Silicon Valley, où même les PDG parlaient de leur affection pour le cannabis. Dans la série télé iconique Silicon Valley, le pot est presque un personnage.

Et il faut comprendre, m’explique Richard, que quand on parle de gens qui fument du cannabis dans ce contexte, on n’est pas du tout chez les « poteux » hippies des années 70 où joint et glandage allaient de pair.

« Ici, ça les aide à coder, à inventer », dit-il.

En fait, tout le monde informatique cherche des façons d’augmenter les capacités du cerveau, et la drogue fait partie de cette recherche.

La tendance à la mode ? Le microdosage de LSD dont on parle depuis quelques années, de toutes petites quantités – environ 12,5 microgrammes – de cet hallucinogène, qui permet, dit-on, d’être plus concentré, joyeux, créatif, si on en croit un utilisateur interviewé il y a trois ans par mon collègue Philippe Mercure.

Richard me parle aussi de travailleurs du monde de la techno qui consomment de l’Adderall, un médicament prescrit comme le Ritalin à ceux qui souffrent de déficit d’attention.

Encore là, il est question d’un produit pour améliorer la performance au boulot. Ce n’est pas aussi addictif que la cocaïne ou le crystal meth, d’autres substances illégales utilisées dans les milieux de travail hyper compétitifs. Et ça s’achète à la pharmacie. Avec une ordonnance, bien sûr. Là aussi, il en est question dans la série Silicon Valley.

« En gros, les gens ici sont dans le biohacking », explique Richard.

Donc non seulement l’utilisation de drogues au travail n’est pas condamnée, mais encore elle est considérée comme une partie intégrante d’une quête de performance souhaitée, d’une amélioration de nos capacités.

Donc pas besoin de confinement pour fumer un joint ou prendre une petite dose entre deux séances de remue-méninges sur Zoom.

Et ici ?

Ici, c’est le silence.

Il est évident qu’avec le télétravail quasi généralisé, il est bien difficile pour les employeurs de savoir ce qui se passe au sein de leurs équipes et comment tous ces travailleurs isolés réussissent à rester allumés et performants et à avoir de nouvelles idées, mis à part avec du Red Bull ou du café.

Et si ça ne gêne pas la qualité du travail, est-ce nécessaire de vouloir tout contrôler ?

Mais là est la question : est-ce que ça gêne la qualité du travail ?

Pour l’avoir vu et revu sous mes yeux pendant des années, à une autre époque, les lunchs arrosés aux martinis des gens d’affaires, politiciens, journalistes et compagnie aidaient peut-être certains aspects du travail, notamment pour tisser des liens avec des sources ou des coéquipiers, sceller des associations, mais ça n’aidait pas nécessairement la qualité de la copie ou de la gestion de crise en après-midi.

« Moi, je peux juste te dire que ma gang trouve ça vraiment dur, le confinement, m’a dit mon amie chef d’équipe. Pour eux, le travail, ça se fait tout le monde ensemble. Ça leur manque. »