Le plan de 82 milliards de dollars est-il suffisant ? L’équipe Trudeau met-elle assez d’argent pour soutenir notre économie mise sens dessus dessous par le virus ?

La réponse à cette question est cruciale. Elle nous permettrait de jauger jusqu’à quel point notre système sera outillé pour traverser la tempête.

Première observation : le gouvernement fédéral a fait ce qu’il devait faire dans les circonstances, selon une demi-douzaine d’économistes chevronnés. En raison du virus, les autorités ont ordonné la fermeture de grands pans de l’économie, ni plus ni moins, et elles ont l’obligation de compenser en injectant massivement des fonds.

Avec les 27 milliards, Ottawa accorde une aide directe aux employés qui ne bénéficient pas de l’assurance-emploi, en plus d’appuyer les entreprises. Et les 55 milliards sont essentiellement des reports de paiements d’impôts, qui allégeront les besoins de liquidités des particuliers et entreprises.

Mais est-ce suffisant ?

Pour répondre, il faut savoir que les 82 milliards s’ajoutent au programme de facilitation de crédits aux PME de 10 milliards annoncé la semaine dernière, ce qui porte le total à 92 milliards. 

Ces sommes viennent en complément des mesures provinciales, notamment celles du Québec, dont une partie sera annoncée ce jeudi.

À titre de comparaison, le programme d’assurance-emploi a versé près de 21 milliards de prestations aux chômeurs l’an dernier, et les 27 milliards sont prévus pour épauler les Canadiens durant quelques mois.

Mais est-ce suffisant ?

En 2019, faut-il savoir, l’ensemble des produits et services de l’économie canadienne – le produit intérieur brut (PIB) – a dépassé 2300 milliards de dollars. Les 92 milliards représentent donc environ 4 % du PIB canadien annuel, injectés en quelques mois.

Les mesures fiscales ou injections de fonds du gouvernement s’ajoutent aux initiatives de la Banque du Canada. La banque centrale a non seulement baissé le taux d’intérêt directeur de 100 points depuis deux semaines, mais elle a également rendu disponibles beaucoup plus de liquidités aux banques canadiennes, qui font face à des appels de fonds de la part de leurs entreprises clientes, lesquelles sont temporairement à court de revenus.

Les banques disposent aussi de plus de marge de manœuvre pour prêter, puisque les restrictions qui leur sont imposées quant au maintien d’un minimum de fonds propres ont été considérablement assouplies.

Dans ce contexte, le ministre des Finances, Bill Morneau, a expressément demandé aux grandes banques canadiennes d’être plus clémentes face aux délais de paiement de leurs clients.

Oui, mais est-ce suffisant ?

L’économiste en chef du Mouvement Desjardins, François Dupuis, qualifie les mesures d’« électrochoc », Clément Gignac, de l’Industrielle Alliance, de « bazooka », Michel Leblanc, de la Chambre de commerce de Montréal, de « majeures » et Rui Castro, de l’Université McGill, de « très significatives ».

Bref, le plan fédéral est musclé, disent en chœur les économistes. Quand je leur demande si ce sera suffisant, leur réponse est aussi unanime, mais plus nuancée.

« Il se peut très bien que le gouvernement ajuste le plan par la suite avec de nouvelles mesures », croit Rui Castro, professeur de macroéconomie à l’Université McGill.

« Oui, c’est beaucoup à court terme, dit François Dupuis, mais tout dépend de l’évolution de la situation. On verra dans les prochaines semaines. » L’économiste suivra avec attention le prochain geste de la Banque du Canada, qui attend maintenant de voir comment se comportera l’économie canadienne face au bouquet de mesures.

L’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion, est le plus mitigé. Il faut dire qu’en tant que stratège de la Banque, il a constamment les yeux rivés sur les marchés boursiers, qui plongent depuis plusieurs jours.

« Le plan d’action fédéral est correct, c’est un bon effort, mais je pense que les montants seront plus gros dans les prochaines semaines. On devra aller chercher des mesures plus importantes », dit-il

Selon lui, l’impact économique au Canada dépendra aussi des stimuli du gouvernement américain sur sa propre économie, puisque de tels stimuli auront aussi des effets au Canada, étant donné l’interrelation entre les deux économies. Le gouvernement Trump prépare un fonds d’aide totalisant 1000 milliards US, ce qui équivaudrait à près de 5 % du PIB américain.

Bref, le plan fédéral est important à court terme, mais Ottawa devra vraisemblablement revenir à la charge dans quelques semaines. Compte tenu du contexte, l’accroissement de sa dette est bien secondaire.

C’est fou ce qu’un minuscule virus peut engendrer…