(Vancouver) Les tensions entourant les droits des peuples autochtones, le changement climatique et l’exploitation des ressources naturelles, qui se sont accrues récemment avec les barrages ferroviaires, ont achevé de convaincre Teck Resources d’abandonner son énorme projet de sables bitumineux, a affirmé lundi le chef de la direction de société, Don Lindsay.

« Au cours des derniers jours, il est devenu de plus en plus clair qu’il n’existait pas de voie constructive à emprunter », a-t-il déclaré lundi lors d’une conférence minière en Floride, au sujet de la décision de l’entreprise de suspendre le projet Frontier en Alberta.

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Don Lindsay

« Le projet a carrément atterri à la jonction d’une discussion nationale beaucoup plus large sur le développement énergétique, la réconciliation autochtone et, bien sûr, le changement climatique. Nous reculons donc pour que le Canada puisse avoir cette discussion importante sans que l’échéance réglementaire d’un seul projet lui porte ombrage. »

L’entreprise établie à Vancouver a expliqué qu’elle inscrirait une charge de dépréciation de 1,13 milliard liée au projet Frontier. Ce dernier devait créer environ 7000 emplois pour sa construction et 2500 emplois pour son exploitation, en plus de générer des revenus d’impôts fédéraux sur le revenu et le capital d’environ 12 milliards. Cependant, il devait également produire environ quatre millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an pendant 40 ans.

La décision de la société survient alors que le cabinet fédéral devait annoncer cette semaine s’il donnait son feu vert ou non au projet de 20 milliards. L’avenir de Frontier était encore si incertain que les analystes n’en tenaient toujours pas compte dans leur évaluation de la société.

M. Lindsay a indiqué que Teck n’avait pas d’échéancier pour une éventuelle nouvelle soumission du projet et que l’entreprise se concentrerait sur ses projets prioritaires.

Justin Trudeau pointé du doigt

Le chef de l’opposition conservatrice, Andrew Sheer, a attribué la suspension du projet au premier ministre Justin Trudeau et à son inaction face aux manifestations qui paralysent le transport ferroviaire d’un bout à l’autre du pays.

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Andrew Scheer

« Il y a un lien direct avec la faiblesse du leadership de Justin Trudeau sur ces barrages illégaux et la décision de Teck. Ne vous y trompez pas, Justin Trudeau a tué Teck Frontier. »

Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a estimé dans un communiqué que la décision montrait ce qui survient lorsque les gouvernements n’ont pas le courage de défendre les intérêts des Canadiens. Il faisait référence aux barrages ferroviaires visant à dénoncer la présence de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur le territoire de la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique, dont les chefs héréditaires s’opposent au projet de gazoduc Coastal GasLink.

« La situation difficile de Teck montre que même lorsqu’une entreprise dépense plus d’un milliard de dollars sur une décennie pour satisfaire toutes les exigences réglementaires, un processus réglementaire qui privilégie la politique au détriment des preuves et l’érosion de l’état de droit sera fatal pour la confiance des investisseurs », a-t-il déclaré.

Le ministre de l’Industrie, Navdeep Bains, a fait valoir que la décision soulignait l’importance, pour tous les ordres de gouvernement, de travailler ensemble sur des objectifs climatiques ambitieux, y compris celui visant des émissions nettes nulles d’ici 2050.

« Les Canadiens ne veulent pas du jeu du blâme, ils veulent que nous travaillions ensemble, ils veulent que nous collaborions, ils veulent que nous ayons un plan concret pour lutter contre les changements climatiques, et je pense que nous avons une responsabilité parce que c’est important, bien sûr, pour le bien-être des Canadiens, et c’est aussi important pour les entreprises et les investisseurs. »

Les communautés autochtones divisées

Quatorze communautés des Premières Nations et des Métis avaient signé des accords de participation avec Teck au sujet de la mine. Certaines d’entre elles ont exprimé leur étonnement face à la décision.

Ron Quintal, président des Métis de Fort McKay, a affirmé dans un communiqué que le traitement politique du projet avait été « déplorable ».

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Ron Quintal

« C’est un œil au beurre noir pour le Canada. C’est un coup porté à la compétitivité des investissements mondiaux du Canada. »

Le groupe Indigenous Climate Action a cependant estimé que la décision représentait une victoire pour les droits des Autochtones, la souveraineté et le climat.

Le chef Gerry Cheezie, de la première nation de Smith’s Landing, une communauté qui s’est opposée au projet et n’a pas signé d’entente à son sujet, a salué la nouvelle.

« La survie de notre communauté est en jeu. Nous ressentons déjà les impacts du changement climatique et de la dégradation de l’environnement causés par l’industrialisation historique de nos terres et territoires. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre projet de sables bitumineux », a-t-il affirmé dans un communiqué.

Des groupes environnementaux ont également applaudi la décision.

Une décision qui élimine l’incertitude

La nouvelle de l’abandon du projet a contribué à faire baisser les actions de la société de 2,7 % à la Bourse de Toronto.

L’analyste de la Banque Nationale Shane Nagle a qualifié la décision de neutre, mais a noté qu’elle lèverait probablement une partie de l’incertitude pour la société et qu’elle réduisait, ultimement, son exposition aux sables bitumineux.

« Comme toutes les entreprises du secteur des ressources, une attention accrue sur les fonds destinés à la réduction de l’impact des activités sur le changement climatique devient de plus en plus importante », a expliqué M. Nagle dans une note.

« Comme Frontier aurait nécessité une capacité pipelinière accrue, des prix du pétrole plus élevés et un partenaire important pour faire avancer le développement, il était peu probable que Teck aille de l’avant avec ce projet pour l’instant. »

L’analyste Jackie Przybylowski, de la Banque de Montréal, a toutefois fait valoir que la décision de Teck était négative, puisqu’elle supprimait une augmentation potentielle du titre.

« La longue liste d’initiatives qui pourraient fournir des catalyseurs positifs a été réduite, et nous attribuons maintenant une probabilité plus élevée de nouvelles négatives à court terme. »

Le patron de Teck, M. Lindsay, a indiqué que la décision sur le projet représentait l’intérêt supérieur des actionnaires et de tous les Canadiens, et il espère que cela contribuera à fournir un espace permettant de résoudre les questions cruciales soulevées par les grands projets de ressources naturelles.

« Nous espérons que ce retrait contribuera à créer à la fois l’espace et l’élan nécessaires à l’avancement de cette discussion nationale essentielle. »