Vous songiez à acheter une résidence par l’intermédiaire d’une fiducie pour la soustraire au patrimoine familial ? Trop tard. Dans un jugement rendu le 12 décembre dernier, la Cour suprême vient de clore cette échappatoire.

Le plus haut tribunal du pays a statué qu’une résidence familiale détenue par une fiducie peut être incluse dans le patrimoine familial lorsqu’un époux conserve « les droits qui confèrent l’usage » de cette propriété.

Le milieu juridique suivait le débat avec grande attention : la question était de savoir si des stratégies mettant en œuvre des fiducies permettraient de contourner les règles du patrimoine familial.

Cette porte avait été fermée par la Cour supérieure en 2016, puis entrouverte par la Cour d’appel qui avait infirmé le premier jugement.

L’issue vient d’être définitivement murée avec un jugement partagé – deux juges dissidents sur sept.

« En tant qu’ensemble de règles correctives visant à promouvoir l’égalité économique entre les époux, les règles relatives au patrimoine familial devraient recevoir une interprétation généreuse et libérale de manière à favoriser l’inclusion des biens dans la valeur à partager entre les époux », a écrit le juge Malcom Rowe, auteur du jugement.

La cause

La cause opposait Roger Karam aux liquidateurs testamentaires de sa défunte épouse Taky Yared.

En octobre 2011, après avoir appris que Mme Yared était atteinte d’un cancer incurable, Roger Karam avait constitué une fiducie au bénéfice de leurs quatre enfants, pour protéger les actifs de la famille.

En 2012, la fiducie a acquis à Montréal une propriété d’une valeur de 2,35 millions, où la famille a emménagé.

Mme Yared a demandé le divorce en 2014 et est décédée en 2015 avant qu’il soit prononcé. Par testament, elle a constitué quatre fiducies au bénéfice de ses enfants.

Ses liquidateurs testamentaires ont déposé une requête pour que la valeur de la résidence soit incluse dans le patrimoine familial, dont la moitié ferait partie de la succession.

Une incontournable règle d’ordre public

L’article 415 du Code civil du Québec précise que le patrimoine familial inclut notamment les résidences de la famille « ou les droits qui en confèrent l’usage ».

Cette notion de droits qui attribuent l’usage d’une propriété avait été prévue par le législateur pour empêcher qu’une résidence familiale détenue indirectement par l’entreprise d’un des époux puisse échapper au patrimoine familial.

C’est une clause anti-évitement. Toute la difficulté de la cause se trouve là.

Me Louis Dessureault, avocat chez Robinson Sheppard Shapiro et représentant de la succession de Mme Yared avec son collègue Stewart Litvack

La Cour suprême a conclu que même si une fiducie n’appartient en principe à personne, celle constituée et contrôlée par M. Karam lui conférait dans les faits des droits d’usage sur le domicile familial.

Selon le juge Rowe, il serait mal avisé qu’une fiducie ou une société « puissent servir à contourner une règle d’ordre public, en l’occurrence le partage du patrimoine familial entre des époux ».

La division des actifs du patrimoine familial est une règle « de laquelle on ne peut en principe s’échapper », a commenté Me Dessureault. « C’est un peu ça, le message. »