(QUÉBEC) La fumée blanche marquant le choix du nouveau président de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) est sur le point d’apparaître. Le comité du conseil d’administration de l’organisme chargé de trouver la perle rare recommande le choix de Macky Tall, président de CDPQ Infra et grand responsable du projet du Réseau express métropolitain (REM) à Montréal, ont indiqué plusieurs sources à La Presse.

Mais la candidature de M. Tall rencontre des obstacles au sein même du gouvernement. Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et ancien membre du conseil d’administration de la Caisse de dépôt, fait plutôt la promotion d’André Bourbonnais, qui vit à New York. À la tête depuis quelques mois d’un fonds de capital investissement de BlackRock, M. Bourbonnais était auparavant le patron d’Investissements PSP, qui, avec 168 milliards de dollars d’actifs sous gestion aujourd’hui, est l’un des plus importants gestionnaires de fonds pour les caisses de retraite au Canada.

M. Bourbonnais a aussi un allié de poids en Charles Sirois, l’homme d’affaires montréalais qui avait épaulé François Legault lors de la création de la Coalition avenir Québec (CAQ), il y a 10 ans.

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André Bourbonnais

Le gouvernement Legault espère avoir réglé la question de la succession de Michael Sabia d’ici la fin de janvier. Pour conclure le processus, les trois derniers candidats agréés par le comité de sélection, MM. Tall et Bourbonnais ainsi qu’une étoile montante de la Caisse, Charles Émond, doivent avoir un entretien avec le premier ministre Legault. Entretien qui aura lieu incessamment, ont confié à La Presse des sources fiables.

À l’origine, M. Sabia prévoyait rester en poste jusqu’en mars, mais il a annoncé récemment qu’il partait dès février pour accepter un poste lié à l’Université de Toronto ; il dirigera l’école Munk, spécialisée en affaires internationales.

Le comité du conseil d’administration chargé d’identifier des candidats, dirigé par le président du conseil Robert Tessier, avait mandaté la firme Egon Zehnder pour identifier des financiers grosse pointure même à l’international. Mais il est devenu clair rapidement que le groupe penchait pour une candidature de l’intérieur de l’organisme. C’est d’ailleurs le message transmis au gouvernement Legault.

Le premier ministre peut choisir le candidat qu’il préfère – habituellement, ces processus débouchent toujours sur plus d’un nom –, mais il est probable qu’il approuve la proposition en faveur de Macky Tall. Québec est aussi préoccupé par la sensibilité politique du nouveau président de la Caisse. Un timonier spécialisé dans les fonds de pension qui arrive de l’étranger pourrait ne pas avoir les réflexes nécessaires pour anticiper les controverses liées aux choix d’investissement de la Caisse.

Macky Tall est à la Caisse depuis 16 ans. On lui a confié la mise en place du REM, le plus important investissement en transports collectifs à Montréal depuis 50 ans. 

Il a contribué à la mise en place du virage vers des investissements dans les installations portuaires, les autoroutes, les transports collectifs et le transport d’énergie.

Un autre candidat de l’interne fait partie du trio des finalistes. En février 2019, Michael Sabia est allé chercher Charles Émond, qui avait travaillé 18 ans à la Banque Scotia. Il était le responsable « mondial » pour les services bancaires d’investissement. C’est lui qui occupe le poste laissé vacant par Christian Dubé qui, après Cascades, avait été député de la Coalition avenir Québec entre 2012 et 2014. M. Dubé avait repris du service en politique à la campagne de 2018 – il a été nommé président du Conseil du trésor. M. Émond, chef des investissements au Québec, est clairement vu comme l’étoile montante au sein de la Caisse et a l’étoffe d’un futur président. Ses responsabilités du côté financier ont été accrues l’automne dernier.

Mais le gouvernement Legault a été invité à tenir compte de l’avenir de l’organisme dans son choix. Choisir le jeune Charles Émond risquait de pousser Macky Tall à considérer des offres de gestionnaire qui ne manqueraient pas. En revanche, en choisissant Tall, on avait bon espoir que M. Émond avait compris qu’il était le second dans l’ordre d’accession au trône, qu’il aurait le poste à la prochaine occasion.

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Charles Émond

Il y a bien longtemps que la direction de la Caisse de dépôt et placement n’avait pas fait l’objet d’un processus de sélection serré. Une réflexion avait été amorcée au départ d’Henri-Paul Rousseau, suivi d’un bref intérim de Richard Guay à la fin de 2008, mais le processus avait été subitement interrompu quand le nom de Michael Sabia, ex-dirigeant de BCE, était tombé sur la table. M. Sabia était apprécié par Jean Charest et son chef de cabinet Daniel Gagnier, à l’époque où tous se trouvaient à Ottawa, sous Brian Mulroney. Haut fonctionnaire au Conseil privé à Ottawa, M. Sabia avait suivi le greffier, le numéro un des fonctionnaires fédéraux, Paul Tellier, au Canadien National par la suite.

Nommé une première fois en 2009, M. Sabia avait vu son mandat renouvelé pour quatre ans, jusqu’en 2021 théoriquement. On prévoyait qu’il serait là pour l’inauguration de l’ambition projet du REM. Or, il paraît clair désormais que le réseau ne pourra être en service, même partiellement, en 2021.

Pour les partenaires de la Caisse à l’international, il est clair que le choix du président de la Caisse doit théoriquement être au-dessus des interventions politiques. Mais le couronnement d’un candidat a de longue date été téléguidé par le premier ministre du Québec ou le responsable des Finances.

Qui est Macky Tall ?

Né à Bamako, au Mali, en 1968, l’actuel chef des marchés liquides de la Caisse de dépôt et grand patron du Réseau express métropolitain (REM) est arrivé au pays à l’âge de 17 ans pour y étudier.

Après avoir envisagé d’entrer à Polytechnique, Macky Tall s’inscrit à HEC Montréal, où il décroche un bac en administration des affaires avec option finance. Il terminera plus tard sa formation universitaire avec un MBA (Finance) de l’Université d’Ottawa puis un diplôme de premier cycle en économie de l’Université de Montréal.

Entré à la Caisse de dépôt en 2004, M. Tall s’y fait connaître pour l’essor que connaît le portefeuille d’infrastructures sous son règne, lequel dépasse maintenant les 20 milliards. À la tête de cette division, il accélère la mise en place du modèle d’affaires axé sur les partenariats avec de grands exploitants d’infrastructures : production et distribution électrique, aéroports, ports et autoroutes.

En 2015, il crée la filiale CDPQ Infra, dont il est toujours le PDG. Cette filiale met en œuvre le REM, ce réseau de train électrique automatisé de 67 kilomètres.

Homme discret, plus à l’aise avec les chiffres que sous les feux de la rampe, M. Tall devient chef des marchés liquides (marchés boursiers et revenu fixe) en mars 2018. Cette nomination ne manque pas d’étonner en raison de l’inexpérience professionnelle de celui-ci dans la gestion de portefeuille de valeurs mobilières.

Avant la Caisse, M. Tall avait surtout travaillé dans le secteur des ressources et de l’énergie chez Probyn & Company, Novergaz, MRG international et Hydro-Québec.

D’ailleurs, son passage au sein du géant hydroélectrique n’a pas été de tout repos, puisqu’il était l’homme du projet mal aimé du Suroît. M. Tall était directeur de projet de la centrale thermique au gaz naturel qui n’a finalement jamais vu le jour en raison de l’opposition de la population. Les éditions de La Presse du 10 et du 11 septembre 2002 rapportent ses réponses hésitantes devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). On y lit qu’Hydro-Québec a même délégué Thierry Vandal, alors président de la filiale Production, pour répondre aux questions du BAPE à sa place.