Tous les investisseurs sont à la recherche de bons tuyaux. Vous savez, ces informations exclusives, significatives, cruciales, qui font exploser un titre en Bourse.

Mon collègue Richard Dufour, qui couvre le marché boursier, peut vous en parler longtemps. Toutes les semaines, des amis, des collègues, des parents lui demandent ce genre d’information privilégiée. Pis, Richard, as-tu un tuyau à me refiler ?

Normal, me direz-vous, n’est-ce pas la nature même de la Bourse ? N’est-ce pas ainsi que les millionnaires font leur argent ?

Justement, non, ce n’est pas normal, bien souvent. Pourquoi non ? Parce qu’il est illégal de tuyauter de l’information confidentielle. La transmission de tels renseignements privilégiés peut mener à des accusations pénales et est passible d’amendes sévères et même d’emprisonnement, selon la gravité des faits.

Attention, je ne parle pas des informations analytiques sur une entreprise en Bourse ou un secteur économique. Les analystes financiers et les gestionnaires de portefeuille, de par leur connaissance approfondie, ont une idée probablement bien meilleure que votre beau-frère plombier de l’évolution probable des cours boursiers d’une entreprise.

Non, ce dont je parle, ce sont des informations confidentielles que détiennent les initiés d’une entreprise, qu’ils soient dirigeants, financiers ou avocats externes. Par exemple, le chef des finances d’une firme cotée en Bourse ne peut dévoiler les tractations secrètes qui se déroulent pour l’acquisition d’un concurrent, à moins de le diffuser à tous les investisseurs en même temps.

S’il achète des titres, directement ou indirectement, ou permet à un ami de le faire, il commet un délit d’initié, puni sévèrement par l’AMF.

En faisant une telle transaction, il fait de l’argent sur le dos des autres actionnaires qui ont vendu le titre en ne connaissant pas le tuyau. C’est l’équivalent d’un vol de dépanneur ou d’une banque, en quelque sorte.

Pourquoi je vous en parle ? Parce que mon collègue Richard Dufour, justement, vous dévoile aujourd’hui une enquête de l’AMF sur un possible délit d’initiés. Une dizaine de personnes, dont des gestionnaires de portefeuille, auraient profité du tuyau d’un banquier pour acheter illégalement l’action de l’entreprise Napec, firme spécialisée dans l’entretien de réseaux électriques.

L’entreprise de Drummondville a vu son titre gonfler en Bourse, comme prévu, après avoir été acquise par la firme américaine Oaktree pour 350 millions de dollars, il y a deux ans.

Le banquier Philippe Gauthier, qui travaillait sur la transaction pour le compte de la Banque Laurentienne, aurait fuité l’information à deux amis, qui ont rapidement acheté des actions de Napec, selon l’AMF. L’un des deux a refilé l’information à son père, qui aurait ainsi réalisé un gain de 40 000 $ !

L’AMF, qui a fait des perquisitions et des interrogatoires l’automne dernier, a retracé des appels téléphoniques entre les parties dans les minutes qui ont suivi une réunion cruciale sur la transaction.

Globalement, les profits réalisés par la dizaine de personnes se seraient chiffrés à 750 000 $. La somme n’est pas astronomique, loin des 20 millions qui étaient en cause dans l’affaire Amaya, cette enquête pour délits d’initiés qui a fini en queue de poisson en 2018 parce que l’AMF avait gaffé dans la gestion de sa preuve.

Le délit d’initiés sur Napec, s’il est prouvé, demeurerait néanmoins impardonnable puisque plusieurs des parties impliquées sont issues du milieu financier, et connaissent donc bien le tabac.

Comme c’est le cas chaque fois, prouver un délit d’initiés hors de tout doute raisonnable n’est pas chose facile. L’AMF doit démontrer que l’initié qui détenait l’information l’a vraiment refilée à des tiers. Or souvent, de tels tuyaux sont transmis de bouche à oreille. Et quand c’est par téléphone, il y a rarement des enregistrements pour le prouver.

Tout de même, qu’on se le tienne pour dit : l’AMF a maintenant de puissants outils pour dénicher les voleurs de dépanneurs qui se refilent des tuyaux. Des appels cellulaires concordants. Des ordres d’achat enregistrés auprès des courtiers. Des dénonciations de l’industrie.

Et quand l’AMF arrive à ses fins, la punition peut être sévère. En 2017, une secrétaire de Bell Canada l’a appris à ses dépens. Elle s’est vu imposer une amende de 172 000 $ pour avoir fait un délit d’initié qui lui avait rapporté 16 500 $. Ouch !

Quant aux pécheurs acquittés faute de preuves, la diffusion publique de l’enquête ou des accusations n’est pas de tout repos, croyez-moi. L’appât du gain coûte cher.