Populaires dans les années 80, les clubs d’investissement ont à peu près disparu. Mais au Club d’investissement responsable du Québec, les membres sont encore bien actifs. La Presse est allée passer une soirée avec eux. 

Jeudi soir, au 31e étage de Place Ville Marie, dans un local de WeWork. Un groupe de jeunes professionnels et d’étudiants sont réunis pour discuter de l’achat ou non du titre de Beyond Meat, le producteur de substituts de viande. Les échanges sont animés.

« Les revenus de Beyond Meat sont passés de 16 à 32 millions en un an pour atteindre 87 millions en 2018. C’est énorme », annonce l’animateur de la soirée et président du Club d’investissement responsable du Québec, Yannick Prince.

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« Il y a beaucoup de titres qui ne se qualifient pas sur le plan RSE, responsabilité sociale des entreprises, ou qui n’arrivent jamais au prix qu’on a déterminé lors de la rencontre de notre comité Finances. Donc, il y a des investissements qu’on peut manquer. Mais on ne déroge jamais aux valeurs du club. »
— Yannick Prince, 31 ans, président du club, baccalauréat en gestion

Si certains des membres ont une formation reliée à la finance, d’autres n’en ont aucune. Car le but, c’est avant tout d’apprendre. Sans gêne. Débattre par pur plaisir.

« Ils n’ont pas de dette et 312 millions d’argent liquide dans leur compte de banque, analyse Ahmed Hassani. Ça va leur permettre de capitaliser sur des occasions pour grossir. »

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« J’adore la finance, et principalement l’investissement responsable. Le club me permet de pratiquer le côté analyse financière et de me réunir avec des jeunes qui ont à cœur aussi ce type d’investissement. J’aime travailler en équipe, s’entraider pour faire des choix et investir dans des entreprises qu’on pense responsables. Je veux aussi prouver que d’investir dans des entreprises responsables, c’est payant. »
— Ahmed Hassani, 31 ans, membre depuis 3 ans, comptable agréé

« J’adore ça, c’est magnifique ! Quand je vois ça, mon cœur débat ! », rétorque Thierry-Yannick-Essemba Mendouga.

Chacun a préparé son évaluation financière de Beyond Meat… Et même testé le goût du produit.

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« Quand j’étais à l’Université Concordia, j’ai vu des événements du club annoncés sur Facebook. J’aime beaucoup les interactions entre humains, face à face, les réactions immédiates. Ça nous motive et ça nous amène à avoir plus d’idées. Les échanges sont plus faciles et plus intéressants en personne. »
— Daisy Zhang, 30 ans, maîtrise sur les entreprises durables, gestion de recrutement

« Je n’ai pas senti la différence d’avec la viande », soutient Daisy Zhang.

« Avez-vous vu qu’il y a plus de sodium que dans la viande ? », relance David Ung.

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« C’est typique de ma génération, j’essaie de trouver un sens à ce que je fais. Avant, je travaillais dans une banque et je me demandais quel était le sens de ce travail. Avec l’investissement responsable, je réalise combien on peut avoir de l’impact avec les capitaux. C’est presque un devoir de propager l’investissement responsable ! Il y a quelques cours qui se donnent à l’université, mais c’est encore embryonnaire. »
— David Ung, 30 ans, membre depuis 3 ans, consultant en investissement responsable

Avant que le titre de l’entreprise soit analysé ce soir-là par le comité Finances, un membre l’avait proposé à l’ensemble du club, qui a tenu un vote par internet. Le comité Responsabilité sociale des entreprises s’est ensuite réuni pour évaluer Beyond Meat.

On regarde les critères environnementaux, les questions sociales sur le plan du traitement des employés, l’implication sociale des entreprises dans leur environnement ainsi que les questions de gouvernance, du point de vue de la diversité et de l’égalité des sexes.

Yannick Prince, président du Club d’investissement responsable du Québec

L’idée de ce club a pris naissance lors d’un souper entre amis issus de différents domaines, mais tous passionnés par les marchés boursiers et la conjoncture politique.

« Les membres des clubs traditionnels mettent leur argent ensemble, investissent et se répartissent les profits. On avait cette même ambition au départ et, petit à petit, on a pensé à la thématique de l’investissement sans trahir nos valeurs ni sacrifier le retour financier », raconte M. Prince.

Une centaine de membres

Le groupe d’amis ne croyait pas qu’il allait attirer autant de membres lors du lancement du club en 2015. Quatre ans plus tard, ils sont une centaine, âgés de 23 ans à 31 ans. Le président, Yannick Prince, explique combien la paperasse peut être rébarbative lors de la création d’un compte de courtage pour un club d’investissement.

« Chaque membre du club doit donner sa signature, relate-t-il. Plus il y a de membres, plus c’est compliqué. Comme l’élément principal, c’était d’apprendre et pas nécessairement de s’enrichir, on a décidé d’y aller avec un OSBL et de redonner les profits. Mais rien n’empêche les membres de recopier les investissements du club dans leur portefeuille personnel. »

Chaque membre paie 50 $ de cotisation annuelle. Les profits sont remis tous les deux ans à des organismes choisis par les membres. Le dernier don a été fait au Refuge pour femmes autochtones de Montréal et à Environnement jeunesse.

Ce qui nous différencie, c’est qu’on regarde aussi le produit en soi quand on analyse le titre. Est-ce une amélioration par rapport au statu quo ? Est-ce que c’est un produit qui fait avancer l’humanité ?

Yannick Prince

En plus de ces activités d’investissement, le club organise trois événements d’envergure par année, ouverts à tous, où une personnalité du monde des affaires vient parler d’investissement responsable.

« La mission, c’est de rendre l’investissement responsable accessible à l’ensemble des citoyens. Quand on regarde les trois, quatre dernières années, je crois qu’on a fait avancer la cause. »

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« C’est ma première soirée avec le club. Ça fait 10 ans que je suis intéressé par ce domaine, mais je crois que j’ai un point de vue différent. Le concept est bien beau sur papier et je suis venu voir si, dans les faits, l’investissement responsable est aussi rentable qu’on le dit, si ça fonctionne vraiment. »
— Marten Stoyanov, 29 ans, première journée, employé chez SSENSE

Retour aux sources

Le Club d’investissement responsable du Québec est désormais l’un des rares clubs du genre au Québec. Pourquoi ?

Lorsque les premiers clubs ont été créés au début des années 80, c’était parce que les Québécois n’étaient pas très actifs sur les marchés boursiers, rappelle Normand Caron, conseiller en formation du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

« À l’époque, les ressources n’étant pas accessibles, il fallait se regrouper pour avoir des conseils. Aujourd’hui, chacun peut dans son foyer avec son ordinateur avoir accès à toutes les Bourses du monde, à toute la littérature et aller sur des sites qui offrent des conseils clés en main. »

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« Je suis un étudiant en échange à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. Je suis content d’avoir joint le club, parce que je viens du sud de la France et il y a moins d’intérêt pour la finance. Ici, je peux élargir mes connaissances et appliquer celles apprises à l’école. Le fait d’interagir avec des étudiants d’un côté et des professionnels de l’autre me plaît beaucoup. »
— Titouan Gentileschi, 25 ans, membre depuis octobre 2019, étudiant en administration des affaires

Jean Soublière, qui dirige l’ACTIF, coopérative d’éducation financière, croit aussi que l’information offerte sur l’internet freine la formation des clubs. Sans compter tout le processus administratif complexe.

« Chaque fois qu’un membre part du club ou qu’un nouveau arrive, il faut refaire les papiers. C’est l’enfer pour le courtier », soutient-il.

L’ACTIF offre toutefois des contrats types, de la formation et des guides pour ceux qui voudraient se lancer. La coop a encore son club-école, créé en 2012, avec ses rencontres mensuelles qui attirent bon an, mal an une vingtaine de personnes. 

Club du HEC

HEC Montréal a aussi son club. Le fonds de placement étudiant HEC compte une trentaine de membres recrutés à leur première année universitaire, qui gèrent un portefeuille de 250 000 $. « Au début, n’importe qui pouvait investir dans notre fonds, raconte la présidente du club, Claudie Lachapelle. On a fermé ça, parce que c’était trop compliqué à gérer d’un point de vue légal avec tous les papiers à remplir. On garde juste l’argent de l’école. » Une fois leur diplôme en poche, les futurs travailleurs ne créent pas d’autres clubs par la suite. « C’est un bonus dans notre parcours universitaire. Le but, c’est d’en apprendre plus et que les employeurs viennent nous embaucher après. »