En 1960, 16 directeurs de la société General Electric ont été reconnus coupables d’avoir participé à un vaste stratagème de fixation des prix dans le secteur de l’électricité.

D’autres entreprises étaient visées, ai-je appris en lisant un article sur la question dans un vieux New Yorker. Mais General Electric était vraiment au centre de cette histoire rocambolesque de collusion, digne d’un roman policier.

Toutefois, le grand patron de GE de l’époque, Ralph Cordiner, a non seulement survécu sans se faire attraper par le département américain de la Justice, mais il a carrément gardé son poste. Que 16 personnes sous sa gouverne aient grossièrement contourné la loi ne lui a pas valu de congédiement.

Une telle chose serait-elle possible aujourd’hui ?

Difficile de l’imaginer.

OK, Guy Cormier est encore à son poste de président et directeur du conseil chez Desjardins malgré la mégafuite de données. 

Mais lundi, le président de Boeing, Dennis Muilenburg, a remis sa démission, dans la foulée de la débandade du 737 MAX, l’avion derrière deux catastrophes aériennes et retiré des airs.

Et en 2016, John Stumpf, chef de la direction de Wells Fargo, a aussi dû quitter son poste après une fraude commise par des employés. Et en novembre, Steve Easterbrook, PDG de McDonald’s, a dû partir, cette fois pour conduite inappropriée.

En 2019, on n’a pas peur de montrer la porte aux dirigeants. 

Selon une étude de la firme Challenger, Gray & Christmas, citée par le Business Insider, 1160 dirigeants d’entreprise ont quitté leur poste durant les trois premiers trimestres de 2019. Certainement pas tous dans des circonstances controversées. La plupart sont juste partis à la retraite normalement.

Mais les départs causés par des crises ne sont plus rares. Et la moyenne de temps passé à la tête d’une entreprise a diminué. Selon des recherches citées par le New Yorker, les chefs de direction restaient aisément plus de 10 ans à leur poste au début des années 80, alors que maintenant, on parle plutôt de durées de 6 ans.

Est-ce mieux ainsi ou pas ?

Il est normal que les gens qui occupent des postes de direction soient remerciés s’ils ne sont pas capables de faire leur travail convenablement. Surtout s’ils reçoivent des salaires faramineux.

Mais les hauts dirigeants auraient-ils parfois droit à l’erreur ? Et parfois, leur expérience et leur connaissance des dossiers – et peut-être de celui au centre d’une quelconque crise – ne sont-elles pas ce qui devrait primer ? 

Quand est-ce vraiment le temps de virer le boss ? Et doit-on nécessairement en faire un geste significatif pour envoyer un message ?

PHOTO JASON REDMOND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Lundi, le président de Boeing, Dennis Muilenburg, a remis sa démission, dans la foulée de la débandade du 787 MAX, l’avion derrière deux catastrophes aériennes et retiré des airs.

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Au Québec, on n’est pas friand de ces congédiements spectaculaires.

Henri-Paul Rousseau, dirigeant de la Caisse de dépôt et placement du Québec, est parti de l’organisme volontairement en 2008 pour accepter un autre poste chez Power Corporation. Après son départ, on a appris que la crise financière de 2008 – en incluant la tumultueuse participation de la Caisse au marché du papier commercial – avait coûté près de 40 milliards à la Caisse. Il n’a pas été difficile alors de comprendre qu’il n’aurait pas été possible pour lui de rester plus longtemps à son poste. Mais aucune mise au pilori n’a jamais été orchestrée contre lui. 

Autre exemple. Pierre Beaudoin, qui dirigeait Bombardier, a cédé sa place de PDG à Alain Bellemarre en 2015, alors que le développement du programme C Series connaissait de sérieux ratés qui pesaient lourd sur les finances de l’entreprise. Là aussi, la transition s’est faite sans hauts cris, alors qu’il devenait pourtant de plus en plus évident que le projet de développement de nouveaux appareils n’allait pas là où les investisseurs l’auraient souhaité. 

Tout cela ne se compare pas à la crise chez Boeing.

Mais au Québec, rarement a-t-on entendu un dirigeant dire à voix haute qu’il prenait la responsabilité pour les difficultés du bateau qu’il était en train de piloter. Rarement a-t-on entendu le conseil dire qu’il fallait un départ.

Est-ce mieux de faire ainsi ? Sans coup de barre théâtral ? Avec des transitions plus pesées, plus mesurées, mieux préparées ? Plus cachées… 

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Aux États-Unis, les analystes et professeurs de gestion cités dans différents articles parlent d’une transformation de la loyauté au sein des sociétés depuis une bonne trentaine d’années. On est partis d’une époque où les conseils d’administration avaient beaucoup de loyauté envers les dirigeants des sociétés à une loyauté envers l’entreprise.

On veut que Tesla aille bien. Pas Elon Musk. 

D’où, donc, ces démissions involontaires fréquentes.

La présence de plus en plus marquée d’investisseurs militants, qui cherchent à obtenir des postes aux conseils d’administration, a exacerbé le phénomène. Selon une étude citée par le New Yorker, s’ils sont au C.A., la probabilité que le PDG soit remercié dans l’année double.

Les C.A. américains sont-ils devenus trop interventionnistes, alors ?

Si un travail impeccable de recrutement indépendant et diversifié est fait pour ces conseils, leur légitimité et celle de leurs décisions seront assurées.

Mais il ne faudra jamais oublier que plus il y a d’argent en jeu, donc de gros salaires et d’autres revenus offerts aux PDG, plus il y a de bonnes raisons de demander des comptes.

Dans le cas de Boeing, on est encore ailleurs. Des vies sont en jeu.

La démission de Dennis Muilenburg vous donne-t-elle à nouveau envie de prendre ces avions ? Pas moi.

Une démission n’est pas une panacée.