Est-ce que quelqu’un est surpris que Huawei veuille déplacer ses activités de recherche et développement à l’extérieur des États-Unis ?

Avec toute l’énergie que Donald Trump déploie pour entrer en guerre commerciale avec la Chine en général et avec le géant de la téléphonie asiatique en particulier, personne ne peut s’étonner que la firme de télécoms ne s’y sente pas à l’aise.

Son président, Ren Zhengfei, l’a confirmé en entrevue au Globe & Mail, dans un article paru mardi.

Ce qui est plus étonnant, c’est que dans ce fort intéressant entretien avec le quotidien, aux bureaux du groupe à Shenzhen, le chef de la direction parle d’un possible déplacement des activités au Canada, plus particulièrement à Ottawa, où il a déjà une base de recherche. Quelque 300 chercheurs ont déjà été ajoutés aux équipes canadiennes, tandis qu’aux États-Unis, on a supprimé 350 postes. Il y a donc maintenant 1200 personnes qui travaillent pour Huawei au Canada.

Or, il y a environ un an, Meng Wanzhou, fille de Ren, directrice financière de Huawei, était arrêtée par les autorités canadiennes à l’aéroport de Vancouver, sous des accusations de fraude, avec demande d’extradition américaine en prime. Les États-Unis accusent la femme d’affaires d’avoir violé les restrictions commerciales contre l’Iran. Ce dossier est toujours en attente. La Chinoise de 47 ans est donc encore en Colombie-Britannique, libérée sous caution. Elle y relaxe en profitant du temps qui passe, a-t-elle expliqué récemment sur le site internet de son entreprise.

À la suite de cette arrestation, la Chine a répliqué en interpellant à son tour deux Canadiens, l’entrepreneur Michael Spavor et l’ancien diplomate Michael Kovrig, accusés de menace à la sécurité nationale de la Chine.

Bref, les relations diplomatiques ne sont pas au beau fixe entre le Canada et la Chine. L’été dernier, le mastodonte asiatique a aussi bloqué les importations de viande canadienne, un marché où les producteurs québécois de porc font des affaires. 

Mais à lire les propos de Ren dans le Globe, c’est comme si tout ça est chose du passé. Ou que la politique est une chose et les affaires, une autre.

PHOTO FRED DUFOUR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le géant de la téléphonie asiatique Huawei a annoncé cette semaine vouloir déplacer ses activités de recherche et développement à l’extérieur des États-Unis, plus particulièrement à Ottawa.

Est-ce une bonne nouvelle pour le monde des télécoms canadiennes ?

Toute entreprise qui arrive avec de bons moyens pour faire avancer la recherche, embaucher des diplômés, créer de nouveaux savoirs et savoir-faire ne peut être d’emblée mise de côté.

Huawei veut investir dans la connaissance au Canada. Dans un domaine stratégique. Tant mieux.

Surtout qu’on parle ici de technologie d’avenir, notamment le 5G.

Ce n’est pas parce que les Américains ne cessent d’accuser le géant chinois de vouloir utiliser le développement de la téléphonie pour s’infiltrer, pour parler d’espionnage, qu’il faut immédiatement avoir des craintes. On a des lois, on a des balises.

Et le gouvernement de Trump a-t-il actuellement des leçons à donner à quiconque en matière de contrôle et de surveillance des forces extérieures ?

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En fait, le gouvernement Trump a-t-il des leçons à donner à quiconque en matière de politiques commerciales extérieures en général ?

La nouvelle idée du président américain : imposer des tarifs immensément élevés aux importations françaises — 100 % — en guise de représailles contre la taxe française imposée aux géants du web, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). Le vin pétillant — pensez champagne — certains fromages — le roquefort — et le yaourt seraient parmi les produits visés. 

Difficile d’imaginer que des économistes sérieux ou des diplomates commerciaux sérieux soient derrière cette idée qui a l’air surtout politicienne. La droite populiste américaine adore s’attaquer aux symboles français associés au luxe. Vous vous rappelez quand les Français se sont opposés à l’invasion de l’Irak en 2003 ? Soudainement, la droite américaine s’est mise à boycotter le vin, le camembert, et ne voulait même plus appeler des frites des « French fries »… 

Que le président Trump ait pensé lui-même à cette idée juste pour avoir l’air d’un gars du peuple américain, qui n’a pas peur de s’attaquer aux clichés bourgeois urbains, ne m’étonnerait pas du tout.

Son obsession avec la Chine est moins drôle.

L’économie américaine est profondément dépendante de la production à bas prix dans ce pays. Même si c’est moins vrai qu’avant, le style de vie américain repose sur l’accès à des marchandises en tous genres fabriquées là-bas, à bas prix.

Les Walmart et Best Buy de ce monde sont remplis de produits faits en Chine. Et ce n’est qu’un aspect des relations commerciales avec la Chine, dont relèvent des centaines de milliers d’emplois aux États-Unis. 

Certes, des emplois manufacturiers américains ont été déplacés là-bas, mais les raisons commerciales qui ont provoqué ce changement — la production à plus bas prix — ne vont pas disparaître. Les consommateurs américains ne vont pas soudainement accepter de payer les prix associés aux salaires américains.

Est-ce que Trump joue les matamores pour se faire réélire ? Peut-être. Qui s’en étonnerait ? Est-il obsédé par Huawei pour donner une impression superficielle de défense des intérêts américains en matière de télécommunications ? Qui s’en étonnerait ?

En attendant, l’entreprise veut déménager sa R&D au Canada.

Tant pis pour lui.