C’est en partie pour décourager la spéculation sur les grands immeubles que la Ville de Montréal a choisi d’augmenter les droits de mutation immobilière, ou « taxe de bienvenue », sur les propriétés de plus de 2 millions de dollars.

« Cette augmentation peut contribuer à décourager la spéculation sur les plus grands ensembles immobiliers, protégeant ainsi l’abordabilité des logements et des locaux commerciaux », justifie la Ville dans un courriel de son porte-parole Youssef Amane.

Les droits de mutation sont des frais imposés aux acheteurs de propriétés immobilières. Ils s’ajoutent à l’ensemble des factures à payer lorsqu’un investisseur acquiert une propriété, comme les frais de notaire.

Avec cette récente hausse, la partie de la propriété excédant 2 millions sera dorénavant taxée à 3,0 %, au lieu de 2,5 % comme avant. Pour un immeuble de 3 millions, ces frais représentent une taxe additionnelle de 5000 $ à l’achat. Au total, la Ville va hausser ses revenus de 10,4 millions en 2020 avec cette mesure que l’on trouve à la page 137 du document budgétaire déposé le 25 novembre.

Les spéculateurs ne vont pas changer leurs décisions parce qu’il y a cette hausse de droits de mutation.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM)

« Mais ça va affecter des gens comme des familles qui passent à des logements un peu plus grands, notamment dans des immeubles multilocatifs comme un triplex. C’est ça, l’enjeu : on veut que les familles restent sur l’île. »

M. Amane rappelle par ailleurs que cette mesure a fait l’objet d’une recommandation unanime de la Commission des finances et de l’administration à la suite des consultations prébudgétaires, auxquelles ont participé, souligne la Ville, plusieurs groupes de la société civile, dont l’Institut de développement urbain (IDU) et la CCMM.

« Je suis extrêmement surpris que la Ville nous ait mentionnés sur ce dossier, dit Michel Leblanc, de la CCMM. On a effectivement participé aux consultations qui ont eu lieu. En aucun cas nous n’avons obtenu ou fait des représentations en faveur d’une hausse quelconque de taxe ou de droits de mutation. C’est faux de nous relier à ça. Il y a une certaine maladresse dans la décision de la Ville de nous nommer là-dessus, parce que ce n’est absolument pas quelque chose que l’on soutient. »

Joint au téléphone, le PDG de l’IDU, André Boisclair, soutient que son organisme n’a jamais demandé une hausse des droits de mutation et qu’il y est défavorable.

Profiter du boom immobilier

La Ville explique en outre qu’elle veut profiter du boom immobilier. « L’augmentation des droits de mutation sur les immeubles de plus de 2 millions permet de générer 10 millions de recettes pour la Ville de Montréal auprès des propriétaires qui profitent le plus du boom immobilier des dernières années », écrit-elle.

C'est inexact en partie. Dans les faits, toutes les propriétés de plus de 2 millions seront touchées, même celles dont la valeur a fait du surplace au cours des dernières années. Par exemple, bien des centres commerciaux vont être taxés avec le nouveau taux s’ils devaient changer de mains. Or, la valeur des centres commerciaux stagne depuis trois ans. Ils souffrent de la faillite des Sears, de la fermeture des Target et de la concurrence du commerce électronique.

Selon la firme JLR, 36 % des immeubles non résidentiels se sont vendus plus de 2 millions à Montréal au cours des 12 derniers mois, tout comme 66 % des immeubles de 12 logements et plus qui ont changé de mains.

Par ailleurs, même si la hausse des droits de mutation pour les immeubles de plus de 2 millions vise, dans une plus forte proportion, les immeubles non résidentiels, l’administration de Valérie Plante se défend d’alourdir le fardeau du secteur non résidentiel, l’un des plus élevés au Canada.

Montréal affiche en 2019 le plus haut ratio d’impôt foncier des 11 centres urbains au pays, selon la firme Altus, dans le secteur non résidentiel comparativement au secteur résidentiel. Le ratio atteint maintenant 3,93. Ce ratio veut dire que le taux non résidentiel est de 3,93 plus élevé que le taux résidentiel.

« Les droits de mutation à plus de 2 millions s’appliquent aux propriétaires qui investissent dans l’immobilier dans le but d’en tirer un profit, alors que les taxes foncières sont souvent transférées directement dans le loyer du locataire, explique la Ville. Cette mesure est cohérente avec la stratégie de réduction des charges fiscales pour les petits entrepreneurs. »

Néanmoins, la hausse des droits de mutation augmente le coût d’achat d’un immeuble, ce qui vient directement influencer les loyers exigés par le nouveau propriétaire dans le secteur industriel, commercial et de bureaux. Ainsi, le loyer d’un petit commerçant va nécessairement augmenter pour absorber la hausse des droits de mutation, toutes choses étant égales par ailleurs.

La Ville a toutefois raison dans le résidentiel : le prix d’achat n’est pas un critère qui entre dans la fixation des loyers, selon le règlement provincial.